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             d'autres exemples ambigus, nous en venons à soupçonner qu'il existe autant
             d'exemples de films se situant entre les frontières que de films se situant à
             l'intérieur de celles-ci, ce qui nous amène à nous demander à quoi servent
             les catégories elles-mêmes.

                     Gabriel fournit une analyse textuelle un peu plus prudente de la
             différence entre la représentation occidentale et la représentation africaine
             authentique dans sa comparaison entre l'anthropologue Jean Rouch et le
             cinéaste sénégalais Ousmane Sembène. Jean Rouch est accusé de traiter
             les Africains comme des insectes, de les étudier avec une objectivité alié-
             nante et, surtout, d'avoir tendance à les analyser en voix off plutôt que de
             leur permettre de s'exprimer. Ousmane Sembène est lu comme un héros
             populaire, un griot moderne, qui utilise les traditions orales dans les textes
             cinématographiques. Ce point concernant les méthodes de narration orale
             est souligné, bien que quelque peu forcé, car il s'agit de l'une des principales
             raisons idéologiques d'attribuer l'authenticité à Sembène, le lien avec les
             traditions culturelles populaires dans le discours africaniste étant devenu
             essentiel aux revendications d'africanité. Le choix des auteurs, encore une
             fois, semble spécieux, établissant effectivement une distinction sans ambi-
             guïté entre l'authentique et l'inauthentique.

                     La deuxième phase, la « phase du souvenir », semble être plus ma-
             nifestement litigieuse pour Gabriel. Elle implique un passage qualifié de
             la domination à la libération qui comporte certains dangers. Les films de
             cette phase peuvent tomber dans un réactionnaire « acceptation non critique
             ou romantisme  excessif des  manières  du passé  ». Le film  Wend  Kuuni
             (1982) de Gaston Kaboré est classé dans cette catégorie en raison de son
             ancrage thématique dans le folklore; cependant, on peut supposer que le
             film est justifié parce qu'il représente la société traditionnelle comme com-
             plexe et qu'il inscrit le problème du pouvoir féminin dans le texte  . Gabriel
                                                                     11
             prévient que le cinéma du tiers-monde doit aborder le média comme un
             outil de transformation sociale, « en éliminant les éléments régressifs »,
             sinon le résultat est une « impasse ». La deuxième phase est caractérisée
             par une indigénisation qui sera importante pour le développement d'un au-
             thentique film du tiers monde dans la troisième phase.

                     La troisième phase représente l'étape de la libération dans le cinéma
             du tiers-monde. Le système de production est découplé des institutions ca-
             pitalistes et les préoccupations idéologiques sont fermement ancrées dans
             les thèmes de la résistance; la troisième phase reconnaît le film « comme
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