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             Pierre Haffner, Férid Boughedhir, et Mbye Cham  , l'accent mis par les
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             universitaires, et certainement par les critiques, a eu tendance à privilégier
             les discussions sur les structures et les ressources industrielles nationales,
             les méthodes de production, le festival du film de Ouagadougou (FES-
             PACO), et les difficultés de faire des films en Afrique. Les préoccupations
             d'économie politique ont eu tendance à occulter les questions d'esthétique
             et de réception. Le paradoxe du cinéma critique du néocolonialisme réalisé
             par des africains est que ses réalisateurs agissent comme des intermédiaires
             culturels faisant germer des styles et des thèmes oraux et visuels qui sont
             actuellement stockés en exil. Ces films doivent attendre que les conditions
             appropriées soient réunies avant de retourner « chez eux ».  Mais même
             dans ce cas, l'acculturation du public à hollywood et aux genres conven-
             tionnels peut  l'avoir  éloigné encore plus de ces souvenirs cinématogra-
             phiques de la disponibilité à laquelle les cinéastes tentent d'accéder.
                     En tant qu'intermédiaires, les cinéastes africains critiques sont aussi
             des voyageurs. Ils voyagent physiquement et psychiquement entre le pre-
             mier, le deuxième, le troisième et le quatrième monde, les cultures et les
             ontologies. En tant que griots ou bardes mondiaux, ils mémorisent et réci-
             tent les légendes et les exploits africains par le biais de récits  . Ils sont les
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             dépositaires du savoir oral. La portée de ces griots est mondiale car ils se
             trouvent souvent hors d'Afrique, où ils ont cherché à échapper à la répres-
             sion dans leur propre pays. C'est également là qu'ils trouvent l'essentiel de
             leur soutien financier. En tant que griots, ils représentent et incubent le prêt-
             à-porter culturel des sociétés africaines dont ils sont issus. Ces films récu-
             pèrent des souvenirs qui ont été en partie détruits par le colonialisme et le
             néocolonialisme.
                     Plus spécifiquement, les griots servent à récupérer et à préserver
             pour l'exposition dans le film, ce qui a été aliéné de la génération actuelle
             en raison de la perturbation consécutive à l'imposition des politiques de mo-
             dernisation. En ce sens, ces cinéastes sont aussi des voyageurs entre les gé-
             nérations, et en tant que griots, ils sont les homologues intergénérationnels
             des troubadours européens médiévaux qui voyageaient dans un sens plus
             littéralement géographique.
             Curieusement, l'évolution de la modernité a effondré l'espace géographique
             d'une manière qui fait de ce type de voyage l'une des rares voies ouvertes à
             l'exploration, le film étant l'un des véhicules par lesquels l'explorateur peut
             partir en quête, non pas d'une « nouvelle » découverte, mais d'une redécou-
             verte  .
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