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428 FESPACO/BLACK CAMERA/INSTITUT IMAGINE 12:2
suscitait des cris de la part des autres spectateurs pour qu'ils cessent de gâ-
cher la projection pour les spectateurs qui s'opposaient à ces performances
impromptues. On peut considérer que Naficy dépeint la relation entre l'ac-
tivité et l'espace d'exposition et les formes de vie qui prévalent pour ceux
qui assistent à de telles expositions. Plutôt que de chercher à relier une telle
activité d'exposition à la logique des catégories de la production et de la
consommation industrielles, l'exposition pourrait aussi être considérée
comme un indice des manières dont le film est approprié dans la reproduc-
tion et le renforcement des relations sociales et autres présentes dans la vie
d'une communauté . Dans le contexte africain, le film est fréquemment
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exposé en présence de personnes aliénées de leur condition historique en
raison de l'aliénation culturelle entre les générations qui résulte des pertur-
bations de la modernisation. La théorie du cinéma doit donc être consciente
du contexte de ces formes d'aliénation si elle veut permettre de comprendre
ce que les cinéastes africains tentent de représenter comme étant significatif.
Si les théories lacanienne et proppienne sont fondées sur l'universalité sup-
posée du développement psychologique et des formes narratives respecti-
vement, la manière dont les gens rencontrent le langage et le sens dans
d'autres parties du monde devient problématique.
Dans la section suivante, nous nous inspirons de la conception de
Wittgenstein de la rencontre avec le langage au sein d'une « forme de vie »
pour reconstruire la notion de ce qui se passe lorsque le film est exposé
dans des contextes autres que les contextes occidentaux . C'est par rapport
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à cette imposition du « donné » de la « forme de vie » européenne que la
notion de Troisième Cinéma peut être conçue : un tel film part d'une com-
préhension des spécificités d'une autre forme de vie.
Le troisième cinéma
Le « troisième cinéma » est un ensemble de stratégies développées
par des cinéastes critiques d'Amérique du Sud et d'Afrique du Nord . Le
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« premier cinéma » décrit les industries cinématographiques structurées
commercialement, comme dans le divertissement hollywoodien; le
« deuxième cinéma » représente les films d'avant-garde, personnels, d'art
ou d'auteur. Le troisième cinéma offre une résistance à l'impérialisme, à
l'oppression. En tant que cinéma d'émancipation, il articule les codes d'une
technologie essentiellement du premier monde en une esthétique et des my-
thologies indigènes. Ces esthétiques et ces mythologies informent et expli-
quent respectivement la nature spécifique du monde englobé et rencontré