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métaphorique à la fois dans son moi individuel et féministe. Elle reconnaît
qu'elle ne peut faire partie ni de la culture traditionnelle ni de la nouvelle
classe dirigeante corrompue par laquelle elle a le plus de chances de réaliser
son individualisme et sa liberté personnelle.
Dans Sankofa, la Communauté triomphe et Mona est réinsérée
dans un passé romantique précolonial en tant que fille esclave, Shola. Elle
est observée par un photographe blanc qui représente l'exploitation com-
merciale contemporaine et le regard sexiste consumériste de l'occident.
Mona revient de son voyage historique habillée en Shola et en vêtements
traditionnels. Elle ignore d'un air maussade le photographe qui, impuissant,
la regarde s'éloigner de lui et de tout ce qu'il représente. Gerima ne donne
aucun indice sur la façon dont Mona, et ceux qu'elle représente, devraient
faire face et interagir avec le présent. Dans ces récits, la communauté, en
tant que forme de vie, change l'individu plutôt que l'individu ne change la
communauté. Les relations structurelles de ce processus sont reconnues et
rendues visibles. Cela ne déresponsabilise pas nécessairement les person-
nages en tant qu'individus. Au contraire, cela leur permet (ainsi qu'au public)
de connaître la véritable nature de l'exploitation, tant historique (le vol brutal
de la main-d'œuvre) que contemporaine (l'appropriation de la culture par la
pop-commercialisation).
Cette reconstitution d'une subjectivité communautaire peut sembler
paradoxale aux spécialistes et aux spectateurs occidentaux du cinéma, mais
elle ne l'est guère pour les spectateurs du tiers-monde qui trouvent leur iden-
tité dans les relations communautaires. En tant que formes de vie, délibé-
rément exprimées au pluriel, les traditions orales s'appuient sur le contact
entre les générations pour l'élaboration des subjectivités individuelles. Il en
résulte que là où l'existence continue de la langue écrite peut se produire
dans la rencontre entre un individu et un texte dans l'isolement des autres
personnes, les sujets formés oralement ont besoin de la présence des autres
pour affirmer leurs identités.
Ce paradoxe de l'identité est en partie fonction de la manière dont
l'émergence de formes sociales industrielles a transféré le domaine de l'iden-
tité de la sphère publique à la sphère intime. Il s'accentue lorsque l'on prend
en compte la forme de l'exposition cinématographique, qui est toujours à
la fois publique (surtout dans le cas du cinéma) et privée, dans la mesure
où le lieu d'exposition est séparé des autres aspects du domaine public. En
tant que forme d'art explicitement moderne, le cinéma fonctionne également