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                     Le titre Afrique, je te plumerai est une parodie d'un chant enfantin,
             « Alouette, gentille alouette, alouette, je te plumerai ». Cette chanson sug-
             gère la violence associée à la colonisation culturelle de l'Afrique. Teno fait
             le lien entre cette chanson et la fable du pays des alouettes. Le plumage de
             l’ « alouette » devient une métaphore du plumage ou du dépouillement de
             l'Afrique. La piste visuelle renforce ce propos avec des scènes d'africains
             soumis au travail forcé, construisant des routes pour la pénétration euro-
             péenne dans l'arrière-pays africain, ou récoltant des cultures de rente pour
             les marchés européens. Le message est communiqué de manière flagrante
             par l'image visuelle, mais il est présenté de manière insidieuse dans cette
             chanson.
                     Comme Gaston Kaboré dans Wend Kuuni (1982, Burkina Faso),
             Téno utilise le genre de la performance orale comme une partie importante
             de sa technique narrative dans Afrique. Alors que le film de Kaboré est une
             relecture cinématographique d'un conte oral, Téno exploite plutôt divers
             aspects de la performance narrative orale pour communiquer ce qui devient
             un récit de la colonisation politique, culturelle et économique du Cameroun
             par l'Europe, et de son exploitation et de son « humiliation » continues par
             ses dirigeants politiques. La structure épisodique de Wend Kuuni reflète
             celle du récit folklorique africain et ressemble également aux récits pica-
             resques européens. Les différents événements ne sont liés entre eux qu'en
             vertu de leur relation avec le thème ou lorsqu'ils sont rencontrés par l'au-
             teur/narrateur/protagoniste au cours de l'histoire.
                     En revanche, Téno entreprend son voyage pour comprendre com-
             ment un pays, qui était « autrefois composé de sociétés traditionnelles bien
             structurées », a pu échouer en tant qu'État. Comme un voyage/récit, plu-
             sieurs histoires traversent Afrique. Le film adopte le style d'un voyage/do-
             cumentaire d'une personne. Mais il finit par être polysubjectif, incluant
             plusieurs Camerounais comme points de subjectivité narrative, Jean-Marie
             Téno, Sultan Ngoya, et un certain nombre de leaders politiques africains.
             La métaphore du voyage est une caractéristique du récit populaire, qui prend
             la forme d'une quête, d'un mouvement à la recherche de quelque chose de
             perdu ou à trouver. Afrique est avant tout la quête de Téno pour comprendre
             le dilemme politique de son pays/continent. Téno utilise des documentaires,
             des  reconstitutions,  des  images  d'actualité,  de  l'humour,  de  la  poésie
             louangeuse, du théâtre et de la musique, et des sections monochromes dans
             un film en couleur. La narration directe et indirecte, les dialogues et les
             sous-titres recréent  l'emphase  orale de  la  culture africaine  comme
             l'éducation. Cette oralité est encore accentuée par le fait que l'intrigue se
             déroule à travers une variété de personnages différents, par opposition au
             méta-narrateur
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