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432 FESPACO/BLACK CAMERA/INSTITUT IMAGINE 12:2
Le titre Afrique, je te plumerai est une parodie d'un chant enfantin,
« Alouette, gentille alouette, alouette, je te plumerai ». Cette chanson sug-
gère la violence associée à la colonisation culturelle de l'Afrique. Teno fait
le lien entre cette chanson et la fable du pays des alouettes. Le plumage de
l’ « alouette » devient une métaphore du plumage ou du dépouillement de
l'Afrique. La piste visuelle renforce ce propos avec des scènes d'africains
soumis au travail forcé, construisant des routes pour la pénétration euro-
péenne dans l'arrière-pays africain, ou récoltant des cultures de rente pour
les marchés européens. Le message est communiqué de manière flagrante
par l'image visuelle, mais il est présenté de manière insidieuse dans cette
chanson.
Comme Gaston Kaboré dans Wend Kuuni (1982, Burkina Faso),
Téno utilise le genre de la performance orale comme une partie importante
de sa technique narrative dans Afrique. Alors que le film de Kaboré est une
relecture cinématographique d'un conte oral, Téno exploite plutôt divers
aspects de la performance narrative orale pour communiquer ce qui devient
un récit de la colonisation politique, culturelle et économique du Cameroun
par l'Europe, et de son exploitation et de son « humiliation » continues par
ses dirigeants politiques. La structure épisodique de Wend Kuuni reflète
celle du récit folklorique africain et ressemble également aux récits pica-
resques européens. Les différents événements ne sont liés entre eux qu'en
vertu de leur relation avec le thème ou lorsqu'ils sont rencontrés par l'au-
teur/narrateur/protagoniste au cours de l'histoire.
En revanche, Téno entreprend son voyage pour comprendre com-
ment un pays, qui était « autrefois composé de sociétés traditionnelles bien
structurées », a pu échouer en tant qu'État. Comme un voyage/récit, plu-
sieurs histoires traversent Afrique. Le film adopte le style d'un voyage/do-
cumentaire d'une personne. Mais il finit par être polysubjectif, incluant
plusieurs Camerounais comme points de subjectivité narrative, Jean-Marie
Téno, Sultan Ngoya, et un certain nombre de leaders politiques africains.
La métaphore du voyage est une caractéristique du récit populaire, qui prend
la forme d'une quête, d'un mouvement à la recherche de quelque chose de
perdu ou à trouver. Afrique est avant tout la quête de Téno pour comprendre
le dilemme politique de son pays/continent. Téno utilise des documentaires,
des reconstitutions, des images d'actualité, de l'humour, de la poésie
louangeuse, du théâtre et de la musique, et des sections monochromes dans
un film en couleur. La narration directe et indirecte, les dialogues et les
sous-titres recréent l'emphase orale de la culture africaine comme
l'éducation. Cette oralité est encore accentuée par le fait que l'intrigue se
déroule à travers une variété de personnages différents, par opposition au
méta-narrateur