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Tomaselli, Shepperson, & Eke / La théorie de l’oralité 433
unique du premier cinéma conventionnel et, d'ailleurs, du roman classique.
La musique (chansons, performances, paroles), par exemple, est parfois for-
tement mise en avant, fonctionnant comme une voix narrative à part entière.
La chanson est également utilisée comme un dispositif choral, comme dans
les récits à divers intervalles du film. Il sert de dispositif thématique et struc-
turel, ramenant le public au thème central du film, tout en assurant la cohé-
sion des différentes parties du film. Le cinéaste examine plusieurs questions
simultanément. C'est pourquoi ce film semble parfois très décousu. La chan-
son est le fil conducteur qui relie les parties disjointes au thème central de
la « cueillette de l'Afrique ». Le résultat, dans le cas d'Afrique, est un film
de protestation politique postmoderniste divertissant qui conserve la pro-
fondeur et l'ironie du style oral. La combinaison oralité-visuel est plus large
et potentiellement plus profonde que les codes du premier cinéma, indiquant
ainsi le besoin d'une nouvelle sémiotique (grammaire) cinématographique.
Nouvelles grammaires visuelles
Les réalisateurs africains réarticulent et localisent les technologies
inventées par l'occident dans le contexte des formes de vie qui fondent les
thèmes, les histoires, les formes de narration orale et l'expression culturelle
africains. Les continuités intergénérationnelles et la rencontre pragmatique
avec la réalité suggérée par ces formes de vie génèrent, selon nous, des on-
tologies dans lesquelles se trouvent de nouvelles grammaires visuelles. De
la même manière que l'évocation par Elungu d'un « courant de liaison »
évoque la possibilité d'un monde moins atomisé du prêt-à-porter, les façons
dont les gens donnent un sens à un tel monde pourraient être comprises
comme étant régies par des stratégies d'articulation moins rigides que les
formes modernes des grammaires sujet-prédicat. Si ces grammaires sont
moins précises lorsqu'il s'agit d'objets discrets, alors elles ont peut-être une
plus grande applicabilité lorsqu'il s'agit de relations culture-naturation qui
n'excluent pas les influences non-équipementales qui sont prêtes à l'emploi
sous la forme d'esprits et de relations ancestrales.
Les langues africaines, contrairement à celles qui sont nées d'impé-
ratifs industriels, décrivent un monde composé de plus que d'objets. De ma-
nière significative, leur grammaire (surtout lorsqu'elle n'est pas soumise aux
attentions des spécialistes européens de l'éducation), a une place pour qualifier
un existant en termes de sa relation avec les autres choses, personnes et ani-
maux qui l'entourent. Sujet et Objet restent interconnectés et les récits conser-
vent des espaces pour l'autorité des esprits, comme dans Sankofa. Pourtant,