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James E. Genova / Le régime colonialiste 49
conscience, probablement parce qu'il n'attachait que peu d'importance (cul-
turellement) aux poulets qui paissent dans les espaces publics. Le public
africain s'est concentré sur la scène du poulet en train de manger, sans voir
le film dans son ensemble et, vraisemblablement, le sens que le cinéaste
voulait transmettre à ses anciens spectateurs. La tâche du cinéaste consiste
donc à prendre conscience de ses propres points aveugles culturels dans la
production des représentations à projeter, ainsi que du système de signifi-
cation dans lequel le spectateur va consommer ces images. Une double cog-
nition doit être mise en œuvre afin de limiter les possibilités de malentendus.
C'est là encore le problème fondamental qui contrarie les responsables co-
loniaux en Afrique de l'Ouest, dont Delavignette. Ils voulaient façonner
une culture cinématographique conforme à la vision du cinéma de Kra-
cauer. Kracauer écrit : « Le cinéma vise donc à transformer le témoin
agité en observateur conscient ». Plus encore, les administrateurs de la
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Fédération voulaient que le spectateur devienne un participant conscient de
l'actualisation de la réalité impériale telle qu'elle était imaginée par les fonc-
tionnaires de l'appareil impérial.
Le modèle qui est devenu le standard d'or pour ce que le film devrait
être en Afrique de l'Ouest, est en fait et ironiquement, l'adaptation à l'écran du
roman de 1931 de Delavignette, Les Paysans Noirs, en 1948. Il est révélateur
qu'un roman soit à la base de la présentation de la « réalité » dans la région. Le
film a été entièrement tourné en Afrique occidentale française en 1948 et est sorti
en France le 6 mai 1949, sous les louanges de tout le gouvernement colonial.
Delavignette a offert l'évaluation suivante du processus :
Lors d'une présentation du film à un public dans la salle du Musée social en 1953,
il a ajouté que « les africains allaient se voir sur l'écran », réalisant ainsi l'un des
objectifs des fonctionnaires des années 1930 qui cherchaient à encourager la réa-
lisation de films qui seraient bien accueillis par le public local . Le processus
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de réalisation du film, dans la présentation qu'en fait Delavignette, incarnait à
un niveau fondamental le mythe de la coopération franco-africaine dans la
construction de l'Afrique moderne qui était l'objectif ultime de la mission colo-
niale dans les années d'après-guerre. Cela corrobore l'affirmation de
Burke lorsqu'il écrit: à propos de l'expérience des films au Zimbabwe, que «
les an- goisses à propos du cinéma se sont concentrées sur sa capacité
technologique à donner vie à l'imaginaire ». Dans le cas présent, les
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participants ont actualisé l'imaginaire dans la construction réelle d'un film censé
projeter une représentation
« vraie » des expériences africaines qui modélisait le comportement à imiter par
le consommateur du produit fini. Cela démontre ce que Paul Stoller décrit
comme la capacité du film à construire et à transformer .
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