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James E. Genova / Le régime  colonialiste                     53

                   Comme Delavignette l'espérait, le film de 1949 a fidèlement
          suivi les contours de son roman de 1931. Il s'agit d'un roman semi-autobio-
         graphique qui a l'air d'un documentaire, ce qui est peut-être l'une des raisons
         pour lesquelles la Commission du cinéma d'outre-mer l'a présenté comme
         un « exemple de la façon de produire des films utiles avec un financement
         mixte » lors de sa réunion du 15 juin 1950  . Paysans Noirs est centré sur
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          les déboires d'un administrateur nouvellement nommé, Guillon, envoyé à
          Banfora à la suite de l'assassinat du fonctionnaire précédent. Par conséquent,
          nous savons dès le départ qu'il s'agira d'une affectation difficile qui néces-
          sitera la main ferme d'un agent de l'État colonial capable de naviguer dans
          les divisions complexes de la société indigène. Les idées de Guillon sont
          très proches de celles de Delavignette. Issus d'une tradition de gauche et
          embrassant ce que Wilder et d'autres ont décrit comme un « humanisme
          colonial », Guillon et Delavignette reconnaissaient la diversité et la légiti-
          mité des traditions indigènes tout en adhérant à l'idée que le colonialisme
          français était une force modernisatrice pour les africains  . Conformément
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         aux notions dominantes de la mission civilisatrice dans les années 1930, la
         modernité des africains était ancrée dans la nature fondamentalement agri-
         cole et paysanne de leurs cultures. Par conséquent, la France devait moder-
         niser l'Afrique  sans détruire  les aspects  essentiels  des traditions  des
         africains.

                   C'est dans cette position délicate que Guillon, interprété dans le
         film par Louis Arbessier, se retrouve en poste à Banfora. Une fois sur
         place, il s'imprègne de la culture locale et travaille avec l'ingénieur et le mé-
         decin résidents ainsi qu'avec les élites traditionnelles pour forger un consen-
         sus en faveur de la modernisation tout en conservant la culture existante.
         Ce processus se heurte à l'opposition acharnée d'une caste attachée à des
         pratiques archaïques qui tyrannisent le peuple. En fin de compte, la com-
         préhension que Guillon a forgée avec les anciens ainsi que son rôle de pont
         entre les français et les africains ont produit la formule permettant de sur-
         monter l'oppression et d'ouvrir la porte à une véritable modernité africaine,
         exemplaire du potentiel résultant de la coopération franco-africaine  .
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         Comme le résume William b. Cohen,

            [Delavignette] a montré que les africains étaient des paysans, des paysans
            noirs. Il n'a pas refusé aux africains leur propre personnalité, les dépeignant
            comme des versions inférieures des paysans français… [Ils avaient eux aussi
            des traditions et des croyances locales qui méritaient le respect; Delavignette
            pense que le changement est comme un moyen de sauver la vie villageoise tout
            en augurant une ère nouvelle. L'administration humaine permet aux sociétés
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