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                « une méthodologie complète doit prêter attention aux médiations qui inter-
                viennent entre la  réalité  et la représentation ». Elle doit mettre l'accent sur la
                structure narrative, les conventions de genre et le style cinématographique plu-
                tôt que sur la parfaite exactitude de la représentation ou la fidélité à un modèle
                ou prototype original « réel  ».
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                       Une interrogation plus systématique du film/roman met en évi-
             dence les médiations à l'œuvre qui constituent les liens entre les cinéastes,
             les fonctionnaires coloniaux, le film et le public, de manière à renforcer le
             pouvoir français en Afrique de l'Ouest tout en faisant apparaître un univers
             de représentation modifié dans lequel les Africains devaient situer leur iden-
             tité. Delavignette a compris l'enjeu de la réalisation d'un film tel que Pay-
             sans Noirs, il a observé.


                L'Union française renferme des peuples nombreux et divers dont nous avons
                besoin de comprendre la nature. D'un côté, il y a ceux qui possèdent une culture
                scientifique et littéraire écrite et qui tend vers l'universel, mais qui ne doit pas
                oublier les vérités anciennes acquises par la tradition orale. De l'autre côté, il y
                a ceux qui n'ont pas encore de culture écrite, mais qui font vivre avec force
                leurs coutumes d'où ils tirent leur subsistance (spirituelle)? Un film comme Les
                Paysans Noirs « nous aide à confirmer ces relations et ces affinités  ».
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                       Significativement, les deux groupes sur lesquels Delavignette
             écrivait étaient tous deux situés dans les colonies. Les personnes qui ont
             acquis une « culture scientifique et littéraire », mais qui sont restées atta-
             chées à leurs racines dans la culture orale sont l'élite éduquée en français
             dans les colonies. Selon Delavignette, qui ne faisait que réitérer ce qui avait
             été le cadre hégémonique d'articulation de la politique impériale depuis les
             années 1920, les africains éduqués ne devaient pas voir le lien avec leur
             « source » rompu, car cela entraînait des désordres dans les colonies et sa-
             pait la culture locale  .  L'autre groupe était composé de ceux qui n'avaient
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             pas encore été profondément touchés par la civilisation française. Le film
             devait servir de médiateur entre ces deux groupes et devenir un pont sutu-
             rant l'empire dans une relation harmonieuse basée sur la compréhension et
             le respect mutuels. Delavignette et ses contemporains de l'administration
             de l'Afrique de l'Ouest ont positionné le complexe industriel cinématogra-
             phique dans ses dimensions matérialiste et représentationnelle au cœur de
             la structure du pouvoir colonial. Les images projetées par Paysans Noirs
             constituaient donc une force puissante promouvant les relations de pouvoir
             colonialistes alors que les africains luttaient pour se libérer du joug impérial
             dans les années 1950.
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