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Fait remarquable, il n'existe pas une seule copie de Paysans
Noirs. Par conséquent, nous devons nous appuyer sur les archives colo-
niales, les réactions publiées et les documents personnels de Delavignette
(y compris le traitement du film) afin de reconstituer la portée et l'impact
représentationnels du film, ainsi que la mesure dans laquelle il reproduit fi-
dèlement le roman précédent. En commençant par le commentaire détaillé
de Delavignette sur le film, nous savons que lui et les réalisateurs considé-
raient l’ « authenticité » de la représentation de la réalité africaine et la fi-
délité au livre comme primordiales dans le processus cinématographique.
Le film/roman se déroule dans la région de Banfora (aujourd'hui Burkina
Faso). Conséquemment, l'action se situe dans un lieu réel, habité par ceux
qui sont dits être le sujet du film. Delavignette a affirmé qu'en raison de la
situation temporelle et spatiale du film, la « grande question » au cœur de
la réalisation du film était la suivante: comprendre dans quelle mesure
l'Afrique authentique est communicable à d'autres hommes que les afri-
cains, dans quelle mesure la sensibilité des spectateurs du cinéma se rap-
porte à la vie des paysans noirs.
Je dis que c'est une très grande question. Ces spectateurs du cinéma, vous les
connaissez. Nous sommes parmi eux. Et en tant que tels, nous sommes les frères
de tous les Européens, de tous les Américains, de tous les hommes de toutes les
couleurs qui vont dans la salle obscure à la recherche de l'insolite, de l'excita-
tion, de la distraction de la vie quotidienne, de l'enrichissement de leur per-
sonnalité.
Delavignette pose alors la question rhétorique suivante :
« Qu'est-ce que Les Paysans Noirs nous apportent, quelle est cette partie
de nous-mêmes qui sera satisfaite, et avec quel aspect [du film] s'établira
un accord mystérieux »?
Sa réponse est : « Je ne sais rien. C'est le public qui répondra. Mais, ajoute-
t-il, il me paraît essentiel qu'une telle question soit posée. Et c'est [un té-
moignage de] la valeur sociale du film que de l'avoir posée ».
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D'après la propre évaluation de Delavignette et sa proéminence
au sein du gouvernement colonial en tant que force officielle et morale pour
influencer les décisions politiques, il est clair que le tournage de son livre
était une entreprise majeure conçue pour remplir l'aspect représentationnel
de la nouvelle politique cinématographique qui prend forme en Afrique de
l'Ouest. Il s'agissait de (re)construire des images de l'Afrique qui résonne-
raient auprès du public africain et qui remettraient en question les tropes
dominants de l'Afrique et des africains qui circulent parmi les spectateurs
extérieurs. Il est intéressant de noter que Delavignette présuppose que les