Page 20 - ROLAND-GLORIA-DIANE-ET-MOI_Neat
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boîtes en carton, je les  rapportais  à la maison,  prêt  à affronter le  courroux d’un beau-père
               excédé par ces sauvetages. Il fallait alors ruser pour soustraire mes protégés à une nouvelle
               évacuation.  La  situation  se  grippa  définitivement  le  jour  où  le  parâtre,  décidément  peu
               psychologue,  décapita  sous  mes  yeux  horrifiés  mon  canard  chéri.   Le  pauvre  animal
               fraîchement  guillotiné  se  mit  à  courir  sans  tête  à  une  vitesse  incroyable,  battant  des  ailes
               jusqu’au bout du chemin, et finit sa course morbide au beau milieu de la route principale. Je
               ne lui pardonnerais jamais ce geste barbare.


               Au coin d’un bois…

               La  propriété  voisine  de  celle  de  mes  parents  m'attirait  curieusement,  entourée  qu’elle  était
               d'une épaisse et haute haie de thuyas qui cachait un beau chalet aux dimensions imposantes.
               Tôt le matin, les propriétaires quittaient les lieux pour ne rentrer qu’en fin de soirée. Souvent,
               je voyais aller et venir deux adolescents, frère et sœur. Un jour, tapi dans les thuyas, curieux,
               j’espionnais cet environnement quand je fus surpris par le jeune garçon, fils des propriétaires
               de  ce  beau  domaine.  Loin  de  s’offusquer,  ce  dernier  entra  en  matière  en  m’invitant  à
               découvrir  les  lieux.  Emerveillé,  intimidé,  je  pénétrai  dans  une  maison  bien  plus  vaste  et
               luxueuse que celle de mes parents. Un nouveau monde, une nouvelle dimension s’ouvraient à
               moi.
               Pour  la  première  fois,  j’entrevoyais  une  relation  de  camaraderie,  aubaine  inespérée  qui
               catalysa toute mon envie de communiquer, de partager, de faire confiance. Croyant émerger
               de ma condition de proscrit, je me sentis enfin moins seul : j’aurais désormais enfin un vrai
               copain à qui faire confiance, à quelques pas de chez moi. Le nouvel ami sentit sans doute tout
               le profit qu’il pourrait tirer de la fragilité d’un gamin aux repères chancelants, à la recherche
               d'une amitié, d'un soutien et d'un protecteur.
               A la lisière de la forêt, près de la rivière, attenante à la propriété, se nichait une petite baraque
               en bois qui servait à ranger les outils de jardin. Peu de temps après que nous eûmes scellé
               notre amitié, habitué à suivre sans méfiance mon nouvel ami de cinq ou six ans mon aîné, je
               me  retrouvai  un  beau  jour  avec  étonnement  à  l'intérieur  de  la  petite  baraque  et  vis  mon
               camarade cadenasser la porte de l’intérieur. Totalement dépourvu de malice, je n’imaginais
               pas ce qui allait suivre. Sous mon regard médusé, celui que j’avais cru jusque-là mon ami
               baissa  son  pantalon  et  commença,  comme  si  de  rien  n'était,  à  se  masturber  devant  moi,
               pétrifié,  m’ordonnant  de  parachever  la  besogne.  Tout  en  me  fixant  dans  les  yeux,  ne  me
               lâchant pas de son regard devenu vicieux et pétillant d’excitation, il me montra sans complexe
               comment faire, aller plus vite ou plus doucement, ce qui finit évidement par le faire éjaculer
               dans  ma  main.  Décontenancé,  choqué,  perdu,  j’échappai  de  justesse  à  la  fellation  et  à  la
               sodomie, pratique qui m’a toujours inspiré un rejet sans appel.
               Bouleversé, né à une époque où la sexualité échappait à tout débat, je n’avais ni les moyens ni
               le  loisir  d’analyser  et  d’intégrer  ce  qui  m’arrivait.  Partagé  entre  la  stupeur,  le  dégoût,  la
               curiosité et probablement une bonne dose de culpabilité, je ne pouvais qu’encaisser et ruminer
               en silence. A peine sorti de la baraque, je courus chez moi : anxieux, gêné et intrigué par ce
               que je venais de vivre, je m’enfermai dans ma chambre.
               A  dix  ans  déjà,  enfant  que  le  sort  ne  ménageait  pas,  je  me  sentais  souillé,  utilisé,
               irrémédiablement  plus  seul  que  jamais.  Une  partie  de  mon  âme  se  cadenassait  peu  à  peu.
               L’emprise du jeune pervers, qui profitait de son statut d’aîné, s’accrut ; les scènes crapuleuses
               dans la baraque de jardin se répétèrent.
               Un  jour,  l’adolescent  abuseur  m’invita  chez  lui,  me  promettant  un  spectacle  tout  à  fait
               particulier,  exceptionnel,  extraordinaire,  dont  il  ne  faudrait  surtout  parler  à  personne  sous
               peine de représailles. Ce jour-là dans le grand chalet se trouvaient deux adolescents inconnus
               de moi.  Chacun fut solennellement invité à jurer de tenir sa langue. Le pacte conclu, nous

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