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boîtes en carton, je les rapportais à la maison, prêt à affronter le courroux d’un beau-père
excédé par ces sauvetages. Il fallait alors ruser pour soustraire mes protégés à une nouvelle
évacuation. La situation se grippa définitivement le jour où le parâtre, décidément peu
psychologue, décapita sous mes yeux horrifiés mon canard chéri. Le pauvre animal
fraîchement guillotiné se mit à courir sans tête à une vitesse incroyable, battant des ailes
jusqu’au bout du chemin, et finit sa course morbide au beau milieu de la route principale. Je
ne lui pardonnerais jamais ce geste barbare.
Au coin d’un bois…
La propriété voisine de celle de mes parents m'attirait curieusement, entourée qu’elle était
d'une épaisse et haute haie de thuyas qui cachait un beau chalet aux dimensions imposantes.
Tôt le matin, les propriétaires quittaient les lieux pour ne rentrer qu’en fin de soirée. Souvent,
je voyais aller et venir deux adolescents, frère et sœur. Un jour, tapi dans les thuyas, curieux,
j’espionnais cet environnement quand je fus surpris par le jeune garçon, fils des propriétaires
de ce beau domaine. Loin de s’offusquer, ce dernier entra en matière en m’invitant à
découvrir les lieux. Emerveillé, intimidé, je pénétrai dans une maison bien plus vaste et
luxueuse que celle de mes parents. Un nouveau monde, une nouvelle dimension s’ouvraient à
moi.
Pour la première fois, j’entrevoyais une relation de camaraderie, aubaine inespérée qui
catalysa toute mon envie de communiquer, de partager, de faire confiance. Croyant émerger
de ma condition de proscrit, je me sentis enfin moins seul : j’aurais désormais enfin un vrai
copain à qui faire confiance, à quelques pas de chez moi. Le nouvel ami sentit sans doute tout
le profit qu’il pourrait tirer de la fragilité d’un gamin aux repères chancelants, à la recherche
d'une amitié, d'un soutien et d'un protecteur.
A la lisière de la forêt, près de la rivière, attenante à la propriété, se nichait une petite baraque
en bois qui servait à ranger les outils de jardin. Peu de temps après que nous eûmes scellé
notre amitié, habitué à suivre sans méfiance mon nouvel ami de cinq ou six ans mon aîné, je
me retrouvai un beau jour avec étonnement à l'intérieur de la petite baraque et vis mon
camarade cadenasser la porte de l’intérieur. Totalement dépourvu de malice, je n’imaginais
pas ce qui allait suivre. Sous mon regard médusé, celui que j’avais cru jusque-là mon ami
baissa son pantalon et commença, comme si de rien n'était, à se masturber devant moi,
pétrifié, m’ordonnant de parachever la besogne. Tout en me fixant dans les yeux, ne me
lâchant pas de son regard devenu vicieux et pétillant d’excitation, il me montra sans complexe
comment faire, aller plus vite ou plus doucement, ce qui finit évidement par le faire éjaculer
dans ma main. Décontenancé, choqué, perdu, j’échappai de justesse à la fellation et à la
sodomie, pratique qui m’a toujours inspiré un rejet sans appel.
Bouleversé, né à une époque où la sexualité échappait à tout débat, je n’avais ni les moyens ni
le loisir d’analyser et d’intégrer ce qui m’arrivait. Partagé entre la stupeur, le dégoût, la
curiosité et probablement une bonne dose de culpabilité, je ne pouvais qu’encaisser et ruminer
en silence. A peine sorti de la baraque, je courus chez moi : anxieux, gêné et intrigué par ce
que je venais de vivre, je m’enfermai dans ma chambre.
A dix ans déjà, enfant que le sort ne ménageait pas, je me sentais souillé, utilisé,
irrémédiablement plus seul que jamais. Une partie de mon âme se cadenassait peu à peu.
L’emprise du jeune pervers, qui profitait de son statut d’aîné, s’accrut ; les scènes crapuleuses
dans la baraque de jardin se répétèrent.
Un jour, l’adolescent abuseur m’invita chez lui, me promettant un spectacle tout à fait
particulier, exceptionnel, extraordinaire, dont il ne faudrait surtout parler à personne sous
peine de représailles. Ce jour-là dans le grand chalet se trouvaient deux adolescents inconnus
de moi. Chacun fut solennellement invité à jurer de tenir sa langue. Le pacte conclu, nous
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