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fûmes conviés à l’étage et prîmes place dans une pièce dont un rideau cachait l’alcôve. Sans
               complexe, le jeune maître des lieux se déshabilla devant ses trois convives ébahis, puis, nu
               comme un ver, ouvrit majestueusement, d’un geste ample, le rideau qui cachait un lit. Sur ce
               lit était prisonnière une adolescente également nue, les poignets attachés au-dessus de la tête.
               Avec effarement et stupeur, je reconnus la sœur de mon dominateur, elle aussi soumise à sa
               funeste autorité malsaine. Après s’être masturbé pour se mettre en appétit, le frère incestueux
               se jeta sur le lit, écarta les jambes de sa victime pour la pénétrer sauvagement. Visiblement
               excités,  les  deux  observateurs  inconnus,  apparemment  ravis  du  spectacle,  se  masturbaient
               avec exaltation, sans aucun complexe. Moi, j’étais horrifié, profondément perturbé d'assister à
               pareil spectacle. Après cette scène terrifiante, tremblant de tous mes membres, le cœur battant
               la chamade, la respiration courte, je courus me réfugier dans la gravière. Un long moment fut
               nécessaire pour me reprendre, spectateur de ce chaos intérieur qui avait pris possession de
               mon corps comme de mon esprit. Le soir, je me dérobai aux questions de ma mère, à laquelle
               mon trouble n’avait pas échappé. Cette nuit-là, je me débattis dans des cauchemars sans fin.
               Avec l’énergie du désespoir, je tentais d’échapper au violeur…


               Chassés du nid

               A part le petit dernier, aux prises avec ses difficultés dont personne ne semblait prendre la
               mesure, la famille prospérait : succès professionnels pour les parents, examens réussis pour
               les sœurs.
               Mais  soudain,  pour  tous,  le  ciel  s’assombrit.  Une  usine  qui  produisait  des  briques  et  des
               tuyaux en béton s’installa à deux pas de la maison, saccageant l’un après l’autre les champs
               voisins, répandant une poussière qui pénétrait partout, sans parler du vacarme assourdissant et
               d’un incessant va-et-vient de camions. Prise de possession du territoire, profanation brusque
               et sans remède, grand déploiement de brutalité industrielle qui bouleversa, ravagea le biotope
               dont je connaissais chaque herbe, chaque recoin, et transforma le petit lac des méditations en
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               banale et sordide flaque de boue.
               La tonitruante production augmentait chaque jour, engendrait trafic et entreposages toujours
               plus envahissants. La famille survivait désormais, en état de siège. Mal conseillée, elle s’était
               fait gruger dans l’achat d’un terrain classé à son insu en zone industrielle. Symboliquement
               indemnisée, la tribu dut faire le deuil de son rêve : posséder sa propre demeure. Tout mon
               environnement était bouleversé ; mon espace de repli n’existait plus. La villa au crépi vert,
               vidée de ses habitants, serait recyclée en simple entrepôt.
               Les  chagrins  déjà  traversés  ressurgissaient  dans  toute  leur  vérité  et  s’ajoutaient  à  l’actuel
               désarroi. Petit garçon de onze ans, j’avais déjà vécu bien des arrachements, contre lesquels ma
               mère  ne  pouvait  rien.  L’ancrage  familial  vola  violemment  en  éclats.  Exilés,  nous  nous
               réfugiâmes tous les six à Nyon et investîmes un appartement exigu et sans vue.
               Piégé dans un environnement soudain rétréci, que je pris immédiatement en grippe parce que
               je détestais  ma nouvelle  école, rêveur épris  de liberté, je choisis  l’évasion,  les chemins  de
               traverse pour fuir le béton du centre-ville. A l’écart de l’agglomération, je passais de longs
               moments au cimetière, lieu mystérieux et apaisant, aire de méditation, refuge protégé par de
               hauts  murs  d’enceinte.  Seul,  je  tentais  de  pénétrer  le  mystère  de  la  mort,  dialoguais
               longuement, mystérieusement, avec mon père, m’attendant presque à le voir apparaître, ici ou
               là, déversant ma tristesse et mes tourments dans cet espace où j’étais sûr de ne pas rencontrer
               les  persécuteurs  de  ma  classe.  Une  longue  balade  qui  me  voyait  passer  par  le  port  et


               3  Il s’agit de l’entreprise Challande, fondée en 1950, spécialisée en matériaux de construction. Depuis, la
               gravière a été remblayée et toute la zone, construite.

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