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Chapitre 3
L’adolescence
« Lorsqu’un homme couche avec un mâle comme on couche avec une femme, tous deux ont
fait une chose détestable. Ils doivent absolument être mis à mort. Leur sang est sur eux. »
La Sainte Bible. Lévitique 20 : 13.
Spleen et abus
J’avais mûri. Je laissai derrière moi le peu d’insouciance qui me restait et entrai dans
l’adolescence, ruminant l’impression envahissante, de plus en plus obsessionnelle, que j’étais
différent des autres et gênant pour ma famille. Dès lors, l’emprise des tourments morbides qui
m’habitaient se fit encore plus insistante. Une tentative de suicide par pendaison déboucha sur
une énième consultation chez le psychologue.
Je traversai une période de déguisements en Zorro ou en mousquetaire, épée au poing ; le plus
souvent, j’aimais me travestir en marquise, affublé de vieilles dentelles et de parures de
pacotille des plus clinquantes. Les prémisses d’une identité qui se cherchait et qui tentait de
s’affirmer exaspéraient tout mon entourage. Ce phénomène, qui traduisait la recherche d'une
voie, d'une identité encore très vague, faisait dire à ma famille, mes sœurs en tête : « Voici
maintenant qu’il se prend pour une femme ; on aura tout vu ! Il est bon pour l’asile… »
L’incompréhension taraudait les uns et les autres, dépourvus de moyens pour pouvoir
analyser ce qui se passait vraiment dans mon âme, mon corps et mes pensées.
Déboussolé, curieux des choses de la vie, je ne manquai pas un jour de suivre sans réfléchir
un inconnu chez lui. En mal de compréhension, je pris les caresses que me fit cet homme pour
de la tendresse et m’y abandonnai sans résistance. Le malentendu était pourtant total entre ce
pédophile qui ne recherchait qu’un assouvissement et moi, juste avide d’affection. Le résultat
de cette première étreinte à la sauvette ne fut pas probant ; les jours et les semaines suivantes
n’éclaircirent en rien les recherches encore floues et chahutées du jeune garçon de treize ans
que j’étais.
L’odeur nauséabonde que laissa sur mon corps l’homme que j’avais suivi était un mélange de
moisissure imprégnée sur lui par la pièce humide, sale, à l’atmosphère glauque dans laquelle
je me retrouvais, et de peau libidineuse aux effluves rances, mêlés à un parfum infâme. Cette
odeur s’incrusta en moi et dans ma mémoire, assez pour me dégoûter à jamais de ce genre de
personnage répugnant. Etonnamment, l’expérience plutôt abjecte que je venais de subir me
fit découvrir mon premier plaisir éjaculatoire avec autrui. Cette sensation, jusque-là inconnue
pour moi, me poussa dorénavant à la recherche d’autres hommes, d'autres pratiques sexuelles
choisies et consenties.
Des perruches colorées et une Lisette à quatre pattes
Ma famille se préparait à un nouveau déménagement. Enfin nous ne serions plus à l’étroit.
Nous emménageâmes dans une belle maison bourgeoise de trois étages, sur la Place du
Château de Nyon. A la fois intime et dégagée, cette aire soignée donnait sur la partie ancienne
de la ville, ruelles et vieux toits inclinés et moussus qui dévalaient jusqu’au port. Depuis la
terrasse du château, nous avions une vue magnifique sur le Léman et les Alpes : par temps de
bise, l’arc de cercle dessiné par le lac virait au gris-vert, s’irisant en fin de journée d’un reflet
tourmaline. Aujourd’hui encore on peut, comme à Begnins, le contempler presque dans sa
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