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duquel, suspendu par une chaîne, un tableau insolite d’une beauté trouble m'interpella sans
que je sache vraiment pourquoi. J’y voyais des personnages déchirés, tourmentés, violemment
peints en noir et blanc, tous animés d’un mouvement extraordinairement douloureux. C’est
dans ce cadre étonnant que, subjugué, tourmenté moi aussi, j’entrai en résonance avec la
sensibilité et l’œuvre mystique de Louis Soutter, peintre maudit par son époque et sa famille,
qui le considéra comme fou et finit par le faire interner dans un asile psychiatrique les dix-
neuf dernières années de sa vie. Ironie du sort : comme tant d’autres, ce peintre écorché vif,
qui vécut dans la misère la plus noire, voit aujourd’hui, bientôt un siècle après sa mort, sa cote
au plus haut. Quant à sa classification dans le mouvement de l’art brut, elle est aujourd’hui
controversée.
Moi l’écolier fugueur, je retrouvais dans cette pièce le luxe et la sensualité auxquels je rêvais
et que j’avais déjà largement expérimentés avec Althea, ma belle Américaine. Installé
confortablement dans un fauteuil moelleux, j’entendis pour la première fois de ma vie
quelqu'un me dire que j’étais beau. Après une ou deux coupes de champagne et quelques
caresses délicieusement prodiguées, mon hôte m'emmena tout naturellement vers une étreinte
comme je n’en avais jamais connue et la révélation d’une intensité fabuleuse, un pur bonheur.
Aucune vulgarité dans le geste ni dans la forme. Une vraie tendresse, une délicatesse que
jusque-là personne ne m’avait encore offertes, exactement ce dont j’avais besoin ; je me
régalais à l’envi de tout cet amour en faisant fi du reste. Dès les premiers instants où je me
trouvai nu devant cet homme, l’évidence apparut. Les questions mille fois retournées dans ma
tête et restées jusque-là sans réponse en trouvaient une. Oui, j’aimais les hommes, oui, je
pouvais faire l’amour avec un semblable sans que ce soit un acte vicieux ou maladif. Assouvis
par cette merveilleuse étreinte, heureux, comblés, nous nous endormîmes jusqu’au soir
enlacés, et j’éprouvai la sensation d’être comme réfugié contre son corps, protégé de tout.
A la faveur du contexte particulier de ma vie, dans cet épisode vécu par moi de manière
jubilatoire, on ne peut s’empêcher de se demander quels étaient ma réelle marge de liberté
intérieure, la validité de mon consentement, le poids et l’influence de mon passé. « Actes
d’ordre sexuel avec des mineurs », voilà un délit que l’article 187 du code pénal réprime
d’une peine privative de liberté pouvant aller jusqu’à cinq ans. Pourtant, cette relation
consentie avec le peintre renommé de dimension nationale durera et se renouvellera avec
bonheur et gourmandise, à satiété, jusqu'à ma première arrestation et mise sous verrous.
Le fardeau scolaire ne promettait pas les mêmes enchantements orgasmiques… Sans rappel à
l’ordre ni avertissement, au vu de mes absences, je fus mis à la porte de l'école Villamont, en
attendant de subir le même sort dans un autre établissement, privé également, à Lausanne :
l’école Piotet.
Entre Genève pour mes cours de danse classique, Lausanne pour ma scolarité et Vevey, où
j’avais été admis deux fois par semaine à l'école des beaux-arts, j’ondoyais entre courtes
fugues et premières sorties nocturnes interdites aux mineurs de mon âge.
Mutations familiales et fichiers de police
Sur le point de convoler, mes sœurs quittèrent chacune à leur tour le foyer familial. Après
avoir renoncé au kiosque pour des raisons d'ordre pécuniaire, ma famille se retrouva dans une
HLM en périphérie de Nyon. Aussi prenais-je le large de plus en plus souvent pour m’évader
de ce monde rétréci où, décidément, je ne trouvais pas ma place.
Qu’éprouvait ma mère débordée par la conduite de ce benjamin, si ardemment désiré, mais
qui faisait éclater autour de lui tous les schémas relationnels classiques ? Perdue, elle
n’arrivait pas à décoder les besoins de ma personnalité complexe, même si, et je le savais,
j’étais très cher à son cœur. Comprendre mes aspirations et les ressorts de mon comportement,
qu’elle estimait imprévisible et étrange, se situait hors de sa portée. Dépassée par les
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