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Tornade policière et nasse psychiatrique


               J’étais enivré, ensorcelé par ce monde de la nuit, de la prostitution et de la débauche que je
               découvrais bien trop tôt, mais qui malgré tout m’excitait et me plaisait tout en me dévoyant
               complètement.  Aveuglé  par  les  avantages  que  j’y  trouvais,  d’autant  que  depuis  peu  j’en
               saisissais les codes et les habitudes, complètement inconscient, insouciant, j’avais la sensation
               d’appartenir à cet univers qui semblait me combler, me comprendre, mais qui en réalité ne
               faisait que masquer mes angoisses et mon profond désespoir.


               Dans  la  griserie  de  ce  semblant  de  bien-être  et  de  liberté,  je  n’étais  plus  rentré  chez  moi
               depuis plus d'une semaine ; affolée, ma mère sans nouvelles alerta la gendarmerie qui diffusa
               à la télévision un avis de recherche, relayé dans les gazettes locales. Me sentant tout à coup
               traqué comme un voyou en cavale, je décidai, dans l’espoir de prolonger mon escapade, de
               teindre mes cheveux roux en un noir corbeau. Hélas, cette naïve parade de camouflage n’eut
               pas l’effet escompté, bien au contraire. Ma chevelure noire, jurant avec ma carnation de peau
               très blanche et mes taches de rousseurs typiques d’un vrai rouquin me rendait plus repérable
               que jamais. La police des mœurs avec laquelle j’avais déjà brièvement eu à faire savait où me
               chercher.  Le  2  avril  1962  en  fin  d’après-midi,  plus  de  quinze  jours  après  ma  fugue,  bien
               installé dans un canapé profond de l’Ambassy, le bar où j’avais rencontré ma belle maîtresse

               SM, je sirotais un Coca-Cola quand je vis entrer deux hommes qui n’avaient ni le physique ni
               le style de la maison : j’eus tôt fait de penser qu’ils étaient des policiers. Le regard circulaire
               et inquisiteur des deux individus s’arrêta net sur moi. Les deux flics en civil me firent face,
               l’un deux tenait dans sa main une photo qu’il me présenta : « Tu te reconnais… c’est bien
               toi ? » Sans répondre à la question, la boule au ventre, soudainement je pris conscience que
               mon aventure et ma liberté bien éphémère prenaient fin. A ce moment-là, tous les regards des
               clients présents se focalisèrent sur moi, regards gênés pour certains, pour d’autres moqueurs,
               pour  d’autres  encore  apeurés…  tous  témoins  de  la  scène  qui  suivit :  je  fus  agrippé
               brusquement et sans ménagement par le pullover, et aussitôt menotté comme un criminel, puis
               transporté sur le champ… au poste de police de la brigade des mœurs à l’autre bout de la
               ville, boulevard Carl-Vogt.

               La brigade  des  mœurs  (section  des  infractions  contre  la  personne) est  un  groupe  qui  traite
               encore aujourd’hui, avec des méthodes toutefois bien moins musclées que de mon temps, les
               infractions à caractère sexuel : viol, contrainte sexuelle, actes d'ordre sexuel avec des enfants,
               pornographie interdite et exhibitionnisme.

               A peine étais-je arrivé dans un bureau froid et austère de cette brigade que l’interrogatoire
               commença par une sommation : je devais dénoncer et divulguer les noms des hommes qui
               auraient pu bénéficier de mes faveurs. Opiniâtre, renfermé sur moi-même, muet comme une
               carpe, je tins ma langue et ne révélai rien : mal m’en prit ! Les deux fonctionnaires de police
               furent exaspérés par mon mutisme et un déchaînement de violence s’abattit sur moi : gifles,
               coups de pieds dans les tibias, coup de poing dans l’estomac, les coups pleuvaient de toutes
               parts. L’un d’eux finit par me tirer les cheveux avec une violence inouïe, ce qui finalement
               m’arracha des larmes, jusque-là retenues. Après cette fulgurante brutalité, j’eus encore droit à
               la moquerie de ces deux fonctionnaires devenus fous à lier devant l’obstination d’un gamin
               qui restait, malgré les coups, muet comme une tombe. C’est ainsi qu'après une nuit de sévices,
               j’aboutis meurtri dans une cellule de la prison du Bourg-de-Four en Vieille-Ville de Genève,
               rue des Chaudronniers, longée de ses nombreuses arcades d'antiquaires de renom.




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