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Recroquevillé sur moi-même dans une geôle exiguë et sans air, je croyais étouffer. Une heure
               ou  deux  après  mon  incarcération,  un  plateau  de  nourriture  me  fut  apporté  par  un  maton
               irascible. Fou de rage, humilié, épuisé, à bout de forces et de nerfs, je fis d'un coup de pied
               brusque valser le plateau contre les murs, action qui me valut de nouvelles violences et de
               nouvelles insultes.
               A l’époque, en Europe comme dans le Nouveau Monde, la chasse aux homosexuels battait
               son plein. Aux Etats-Unis, Edgar Hoover, directeur du FBI, peu regardant sur les méthodes et
               notoirement  corrompu  par  la  mafia,  faisait  de  la  traque  de  cette  communauté  sa  bannière,
               alors qu’en secret, ce croisé de la morale s’adonnait aux délices de la chose !
               Avertie de mon incarcération par les services de police, ma mère, son Russe et l’une de mes
               sœurs vinrent me récupérer. Bouleversé, marqué, offusqué par cette détention, le ventre vide,
               chancelant, quand j’arrivai à l’air libre je m’écroulai inanimé sur les escaliers du perron du
               palais de justice du Bourg-de-Four, suscitant la curiosité des badauds. Ranimé à petits coups
               de jets d’eau froide puisée à la fontaine de la place par ma mère en sanglots, je fus rapatrié au
               domicile  familial.  A  la  maison,  après  un  voyage  silencieux,  les  premières  paroles  qui
               m’accueillirent  ne  furent  qu’une  bordée  de  reproches  du  Russe  et  de  ma  sœur  aînée,
               courroucés  par  cet  épisode  tapageur  et  immoral  que  mes  frasques  honteuses  leur  faisaient
               subir. Comme toujours, ma mère, trop heureuse de m’avoir retrouvé sain et sauf, prête à tous
               les pardons, tentait contre mes deux adversaires acharnés de tempérer la situation du mieux
               qu’elle  le  pouvait.  Mais  l’antagonisme  entre  le  Russe,  ma  mère  et  moi  se  fit  cette  fois
               particulièrement virulent et je pris le dessus sur mon beau-père qui se referma comme une
               huître. Chacun à  sa manière traduisait l’oppressante angoisse que je  transmettais,  par  mon
               comportement  incontrôlable,  à  cette  famille  qui  petit  à  petit  perdait  toute  prise  sur  moi.
               Couvant son fils retrouvé, ma mère tourmentée par cet état de fait se posait une fois de plus
               des  questions  sur  mon  avenir  sans  y  trouver  de  réponses  adéquates.  Mon  avenir,  elle  ne
               pouvait le supposer que bouché, noir et funeste. Quant à moi, je me battais maintenant contre
               une sensation d’étranglement, envisageant un futur proche toujours plus douloureux qui me
               semblait  sans  espoir.  Je  me  sentais  perdu  dans  un  labyrinthe  duquel  je  ne  trouvais  pas  la
               sortie.  L’angoisse  indescriptible  que  je  ressentais  s’amplifiait  de  jour  en  jour.  Une  nuit  en
               plein sommeil, je ressentis comme une flèche fulgurante me transpercer la poitrine à plusieurs
               reprises, avec la mauvaise impression et la certitude que j’allais mourir. Malgré ma peur, je
               me dis que c’était peut-être la meilleure chose qui puisse m’arriver : la mort pourrait enfin me
               débarrasser  de  tous  ces  problèmes  qui  s’aggravaient,  qui  me  paraissaient  insupportables  et
               insurmontables. Je n’étais plus dans un état normal. Ma mère dut faire appel au médecin de
               famille  qui  m'administra  de  hautes  doses  de  Valium  en  injection  intraveineuse.  Les  jours
               suivants,  un  rendez-vous  fut  pris  chez  un  psychiatre  qui,  le  24  avril  1962,  m'expédia  en
               clinique psychiatrique pour observation.


               Nouveaux chemins de traverse et stigmatisation psychiatrique

               Au désarroi familial allait succéder le désarroi thérapeutique.

               Certificat  médical  du  docteur  Brant  May,  du  24.04.1962  après  qu’il  eut  examiné  le  jeune
               Roland Guex, domicilié chez sa mère à Nyon : « Le mineur ayant fait une fugue et ayant été
               arrêté hier soir par la police à Genève, je demande en plein accord avec Madame Guex, mère
               du mineur, son admission d’urgence à la clinique psychiatrique de Bel Air pour observation.
               En l’état actuel, le mineur doit être considéré comme un danger pour lui-même, car il présente
               des  troubles  accusés  du  comportement  et  du  caractère. »  Epuisé,  déboussolé,  exsangue,  je
               débarquai  en  milieu  hospitalier  fermé,  entouré  des  pathologies  les  plus  lourdes,  les  plus
               impressionnantes,  les  plus  déstabilisantes.  Dès  le  premier  jour,  une  ronde  de  médecins  se
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