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événements,  angoissée  par  les  dangers  qu’elle  pressentait  sans  toutefois  en  mesurer
               précisément les contours, elle essayait de me protéger farouchement mais avec maladresse,
               parfois même jusqu’à la déraison.



               De mon côté, à peine âgé de quinze ans, j’avais déjà vécu tant de choses, tant de situations
               remettant en question jusqu’à mon identité qui commençait sérieusement à me tarauder, que
               mon  moi  profond  commençait  à  s’effriter  dangereusement.  Piégé  dans  une  impasse
               asphyxiante,  privé  de  repères,  bousculé  par  des  événements  sur  lesquels  je  n’avais  aucune
               prise,  j’aurais  eu  besoin  d’un  temps  d’arrêt  pour  me  réorienter,  reprendre  mon  souffle,
               déterminer posément mes réels besoins et mes priorités, et  accéder enfin à un semblant de
               sérénité.  Mais  cela,  le  destin  semblait  me  le  refuser  obstinément.  Dans  une  glissade
               incontrôlée pour fuir ce présent figé dont j’aurais aimé m’évader, ma vie m’échappait. Et la
               sempiternelle  litanie  de  la  maison  de  correction  ou  de  l’asile,  dont  on  me  menaçait
               régulièrement, tenait lieu de refrain. Systématiquement, la direction dans laquelle je faisais
               mine d’aller m’était fortement déconseillée. Dans le climat bien pensant de la guerre froide,
               un garçon qui se destinait, après une tentative d'orientation professionnelle proposée par l'état,
               à la danse, la coiffure, l’hôtellerie ou toute autre activité artistique devenait automatiquement
               suspect. A l’époque où l’on construisait le mur de Berlin et où l’armée américaine tentait un
               coup de force contre Cuba, l’atmosphère n’était pas à la tolérance.
               Mes cours de danse me donnaient l’occasion de musarder à Genève, et tout naturellement,
               après les cours, mes pas me portaient vers des lieux de rendez-vous homosexuels, propices
               aux  échanges  furtifs,  à  la  sauvette,  sous  la  menace  d’impitoyables  contrôles  de  police  qui
               pouvaient  survenir  à  tout  moment.  C'est  à  cette  période  que,  encore  très  jeune  mineur  de
               quinze  ans,  j’allais  faire  connaissance  avec  le  système  policier,  à  l'époque  ouvertement
               homophobe.  Mon  fin  visage  de  plus  en  plus  souvent  maquillé,  mes  tenues  extravagantes,
               colorées, soyeuses et moulantes, n'étaient pas faits non plus pour que je passe inaperçu…


               Une envoûtante courtisane

               Souvent, le cœur battant, je me glissais comme un clandestin en fin de journée, après mes
               cours de danse, dans l’un des bars de Genève, « l'Ambassy » catalogué comme fréquenté par
               les homosexuels,  les filles  de joie  et  toute une  faune hétéroclite hors normes.  Ce bar était
               surveillé  par  la  police.  Poussé  par  mon  instinct,  assoiffé  de  découvertes  sensationnelles,
               j’aperçus  un  jour,  assise  au  comptoir,  une  surprenante  créature,  une  femme  à  l’allure  peu
               commune  d’une  beauté  rare  qui  paraissait,  de  par  son  physique,  débarquée  tout  droit  des
               steppes de Mongolie. Elle avait quelque chose d’étrange, d’indéfinissable. Sa chevelure d’un
               brun très foncé presque noir, épaisse et longue, naturellement ondulée, lui tombait jusqu’au
               bas des reins. Son visage était plutôt rond comme ceux des Inuits, et ses grands yeux sombres
               en  forme  d’amandes,  formidablement  perçants,  en  imposaient.  A  première  vue  son  regard
               paraissait dur mais étincelant, empreint de malice et d’intelligence. Sa bouche pulpeuse bien
               dessinée  affichait  par  moments  un  petit  sourire  qui  l’obligeait  à  plisser  légèrement  les
               commissures de son petit nez en trompette. Un sourire qui ne mentait pas, renforçant encore
               son air coquin, sexy même, mais pas vulgaire… Toute de noir vêtue, elle arborait un corps
               aux  formes  généreuses,  à  la  taille  bien  marquée,  et  une  forte  poitrine,  qu’elle  avait
               avantageusement  mise  en  valeur  dans  un  soutien-gorge,  maintenue  sous  un  bustier  de
               dentelles qui lui collait à la peau. Cet ensemble confortait son apparence extraordinairement
               sensuelle. Sa jupe de cuir noir, très échancrée sur le côté, laissait apparaître une jambe ornée à
               la cheville d’une petite chaîne en or que je pouvais apercevoir sous la transparence de son bas

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