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médiocrité  du  quotidien  dans  lequel  j’étais  à  nouveau  abandonné  avait  un  goût  d’extrême
               amertume.
               Encore  nimbée  de  mystère,  ma  fascinante  bienfaitrice  adorée  avait  disparu.  Son  souvenir
               ineffaçable m'accompagnerait désormais chaque jour, enrichissant pour longtemps et à jamais
               mon imaginaire…


               Nouveaux échecs scolaires, nouveaux horizons

               Plus personne ne savait que faire de moi, jeune déclassé de treize ans, rétif à tous les schémas
               usuels de pensée. Evidemment prévisible, un nouvel échec scolaire m'attendait.
               Seule ma mère se souciait de son fils qui allait sur ses quatorze ans et elle se rongeait les
               sangs,  prête  à  tous  les  sacrifices.  Une  psychologue  dépêchée  sur  demande  de  l'institution
               publique conseilla de m’inscrire dans une école privée payante. C’est ainsi que j’entrai, au
               début des années 1960, à l'école de Villamont à Lausanne. Séchant régulièrement les cours,
               j’expérimentais ma jeune vie en flânant dans les parcs ou les musées, délaissant l’école avec
               délice. Particulièrement attiré par le quartier des peintres, je posais à l’occasion volontiers nu,
               contre quelques sous, pour certains artistes peu scrupuleux sur mon âge. Je vivais et savourais
               ma  bohème,  insouciant,  sans  penser  au  lendemain.  Un  beau  jour  d'automne  ensoleillé,  je
               sortais d'une séance de pose, poussé à la flânerie, marchant au petit bonheur dans les rues
               pentues de Lausanne, lorsqu’un inconnu de grande taille, qui respirait la finesse et l'élégance,
               attira mon attention. Sa démarche et la classe qui se dégageait de sa personne ne me laissèrent
               pas indifférent. S’engagea alors entre nous un subtil manège de reconnaissance mutuelle, une
               sorte  de  jeu  de  miroirs  qui  nous  amena  finalement  à  son  domicile  malgré  notre  grande
               différence  d'âge.  Incontestablement  raffiné,  l’homme  m’avait  irrésistiblement  intrigué  au
               point  que,  sans  y  réfléchir  plus  que  ça,  je  l’avais  suivi  discrètement  et  sans  appréhension
               jusque chez lui.
               Devant l’entrée de l’immeuble cossu où nous allions entrer, excité par la curiosité à l'idée de
               découvrir un homme et un lieu complètement inconnus, exalté par l’interdit, au comble de
               l’émotion, je me mis à trembler de tous mes membres.
               Arrivé sur le palier, devant la porte de l'appartement, l’homme marqua un temps d'arrêt. Sans
               un mot, il m’observa longuement, jeune angelot qu'il avait attiré jusque-là, avant de m'inviter
               à  pénétrer  dans  ce  qui  allait  être  pour  moi  une  incroyable  vison  surréaliste.  D’abord,  une
               cuisine qui n'en était pas tout à fait une. Des odeurs d'épices de mille et un pays parfumaient
               cette première pièce dans laquelle il se tenait, et tous les parfums qu’elle dégageait taquinaient
               agréablement mes narines. Des dizaines de flacons, de pots entremêlés d'objets rares luisaient
               mystérieusement aux reflets d'une lumière tamisée. Toujours sans un mot, le maître de maison
               traversa  la  pièce  exiguë  pour  ouvrir  une  porte  donnant  sur  une  immense  chambre :  la
               mythique « chambre rouge », dont j’apprendrais plus tard qu’elle était un lieu de rendez-vous
               de poètes, de peintres et autres artistes connus et inconnus de l’époque, amis de l’homme aux
               mœurs  particulières.  Je  restai  cloué  sur  place,  ébahi,  subjugué,  époustouflé  par  ce  que  je
               voyais.  Dans  cet  immense  espace  aux  lumières  douces,  tamisées,  des  tentures  de  velours
               pourpre recouvraient les murs et le plafond, ne laissant rien apercevoir d'autre que ce grand
               écrin fantasmagorique hors du temps. Les plis de velours recouvrant le plafond comme un
               chapiteau de cirque étaient retenus à leur centre par une énorme boule d'or qui scintillait sous
               la réverbération des éclairages adoucis, dispersés aux quatre coins de cette unique chambre.
               Plusieurs niches et bibliothèques tapissées également de velours contenaient des centaines de
               livres et d’objets exceptionnels. La lumière feutrée et indirecte qui se reflétait sur les meubles
               de style bateau, en acajou roux foncé, donnait à la pièce une impression de mouvance que les
               tentures accentuaient en ondulant légèrement à chacun de nos déplacements. La magie de cet
               intérieur intemporel m’envoûtait. Dans un coin, un lit bateau style Louis-Philippe au-dessus

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