Page 34 - ROLAND-GLORIA-DIANE-ET-MOI_Neat
P. 34
relaya, me harcelant l’un après l’autre de questions dignes de la gestapo, bousculant mon
intimité, disloquant ce qui n’avait pas encore volé en éclats. Livré à cette emprise brutale, je
me renfermais sur moi-même, éludais les questions ou refusais carrément toute confession
forcée, ce qui augmentait encore le décalage entre ce que je ressentais et les jugements de
valeur dont l’institution m’estampillait. Extrait de l’un des premiers rapports psychiatriques
de mon internement : « Le contact semble peu ouvert. Reste sur la défensive. Psychisme peu
nuancé. A très peu conscience de lui-même et de ses problèmes : ne les verbalise que très peu
ou pas du tout. » Le personnel m’avait laissé la petite trousse de maquillage dont je ne me
séparais plus depuis plusieurs mois. Durant mon internement, mes cils étant blonds, j’y passai
chaque jour deux ou trois couches de mascara noir, et j’appliquais une grosse épaisseur de
fond de teint sur mon visage pour cacher mes taches de rousseur que depuis peu je
commençais à prendre en grippe. J’étais maquillé comme une fille, si bien que certains
malades abrutis par les drogues me tournaient autour sans relâche, en grognant, bavant, râlant
et essayant de me tripoter. Au lieu d’éloigner les perturbateurs, on opta pour mon isolement :
on m’enferma à nouveau dans une cellule. Le transfert ne se fit pas sans mal. Terrifié par la
perspective de l’emprisonnement, révolté par cette injustice, je me débattis jusqu’à ce que,
déculotté, je subisse par force une injection calmante qui me propulsa dans un abrutissement
proche du coma, propice à ma tranquillité, et surtout à celle du personnel soignant.
Après plusieurs jours d'isolement entrecoupés d'examens de toutes sortes, j’appris par un
infirmier que j’étais atteint de la syphilis, aussi appelée « lue », l’une des maladies
infectieuses et contagieuses les plus répandues à l’époque dans le monde entier, maladie
souvent mortelle bien avant le VIH. Voilà qui expliquait ma mise en quarantaine prolongée,
durant laquelle je recevais un traitement à base d’injections quotidiennes de pénicilline 6.3.3
très pénibles qui me tétanisaient de douleur. Je souffrais d’une forme de contraction des
muscles comparable à une crampe douloureuse, intense et brutale, qui n’en finissait pas.
Mais mon empoisonnement n’était pas seulement psychologique. Pendant trois jours, en plus
des injections de pénicilline, je fus traité au cyanure de mercure, substance entre autres
utilisée pour fabriquer des raticides et dont les nazis se servirent pendant la seconde guerre
mondiale pour confectionner des gaz mortels...
Autrefois la syphilis finissait par avoir la peau des malades : Paul Gauguin et Guy de
Maupassant figurent parmi les syphilitiques célèbres du début du siècle, à une époque où la
maladie sévissait particulièrement, y compris (et peut-être surtout) dans les milieux
intellectuels.
Dans la cellule voisine de la mienne, un fringant sportif, boxeur, mafieux à ses heures, âgé
d’environ trente-cinq ans, beau et musclé, eut tôt fait de me repérer.
Le caïd passait chaque jour devant ma cellule et, lorsqu’elle était ouverte, me lançait des clins
d'œil aguichants qui voulaient tout dire. Sûrement en manque de sexualité, il avait repéré mon
physique efféminé qui lui donnait certainement des idées pour assouvir son manque. Ce
truand boxeur qui pour Dieu sait quelle raison purgeait sa peine en psychiatrie, possédait,
parmi d’autres charmes indéniables, un talent qui allait nous offrir une bouffée d'oxygène, de
liberté et d’interdit. À l’atelier de ferronnerie de l'hôpital où il travaillait, il contrefit en
cachette une clé hexagonale creuse, clé qui ouvrait toutes les portes et fenêtres du pavillon
sécurisé dans lequel nous nous trouvions. Souvent, le soir venu, à l’extinction des feux, ma
clé contrefaite en main, j’ouvrais la fenêtre de ma chambre et faisais le mur pour rejoindre le
beau faussaire.
Ce qui devait arriver arriva. En manque de sexe, ayant à sa disposition et complètement sous
son emprise un éphèbe plutôt efféminé, le beau voyou me fit des avances que j’acceptai au
début avec toutefois quelques réticences, avant de finalement m’abandonner complètement
34