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à la porte de l’école publique, un mois ou deux avant mes quinze ans. Délivré de l’institution
publique tant détestée qui m’avait cassé, injurié et pratiquement détruit, je replongeai dans le
milieu du monde hétéroclite de la nuit, monde dont les charmes déployaient pour moi tous
leurs atours, que je savourais jusqu’à la lie. Dans les voluptueux milieux de ces nuits
reconquises, je repris vite mes marques.
Avec la police, le jeu du chat et de la souris, du gendarme et du voleur, battait son plein. A ce
moment-là plus ou moins en rupture de ban avec la société dite normale, si jamais je m'étais
fait prendre, je n'aurais certainement pas échappé à la maison de correction et cette fois-ci, on
m’aurait enfermé à triple tour, au moins pour cinq ans jusqu’à ma majorité, fixée à l’époque à
vingt ans. Enfermement auquel j’échappai de justesse…
Ayant pris l’habitude de mentir sur mon âge avec la complicité de certains gérants de bars et
boîtes de nuit qui n’étaient pas dupes et allaient jusqu’à m’avertir des contrôles de police,
j’écumais avec une aisance toute particulière les établissements interlopes, avec une joie et
une provocation non dissimulées, décidément très, peut-être trop sûr de moi. Je fréquentais de
belles jeunes dames de la nuit, covergirls de luxe qui me prenaient naturellement en affection
comme leur petit frère. Ces dames aimaient à me faire des confidences, partageant avec moi
leur solitude, leurs espérances comme leurs déceptions amoureuses. J’étais invité par ces
belles dans de grands restaurants gastronomiques. Ces femmes que j’admirais pour leur
beauté et leur générosité, tel un gigolo que je n’étais pas, m’embarquaient à tour de rôle au
volant de leurs voitures, coupés sport, pour des virées spectaculaires, romanesques et
inimaginables. Je vivais toutes sortes d’expériences qui m’attiraient comme un papillon vers
la lumière. L'une de ces belles audacieuses, que je fréquentais régulièrement, m'emmena un
soir sans que je sache où nous allions… en France voisine, à St-Julien en Genevois. Pour la
première fois de ma vie j’allais assister à un spectacle de travestis et transsexuelles au cabaret
Le Cocotier, réputé alors depuis peu pour ce type de représentations. Jusque dans les années
1970 en effet, ce genre de show était interdit en territoire suisse. Cette nuit-là, je vis ébahi, de
mes propres yeux et de près, ces phénomènes intemporels, indéfinissables, fabuleux,
mystérieux, dont j’avais seulement entendu parler. Ces créatures dansaient et chantaient,
évoluant sur scène avec une formidable aisance, offrant au public toute la gamme d’une
sensualité inégalable. Ces artistes étaient avantageusement mises en valeur par des jeux de
lumières spéciaux, différents pour chacun des numéros qu'elles présentaient. Vissé sur mon
siège j’étais stupéfait, admiratif, captivé par ces créatures, vêtues avant qu’elles ne les quittent
de somptueux costumes pailletés aux cent mille couleurs éclatantes qui brillaient à la lumière
des projecteurs. Devant moi passaient ces femmes sur lesquelles mille et un petits feux
d'artifice fusaient et flamboyaient au rythme des lumières projetées sur les paillettes de leurs
robes dignes des stars d’Hollywood.
Troublé, je prenais conscience que toutes ces femmes avaient été par le passé pour certaines,
étaient toujours et le resteraient pour d’autres, des garçons comme moi. Après ce spectacle
magique, quasi féérique, qui allait hanter mes rêves les plus fous, je fus convaincu que moi
aussi je deviendrais un jour une femme, une artiste aussi belle que toutes celles que j’avais
vues en chair et en os ce soir-là. Je savais à présent que tout était possible, conscient qu’il me
faudrait du temps, de l’argent et beaucoup de patience pour devenir l’égale de ces stupéfiantes
créatures. Mais j’étais définitivement assuré que le rêve fou qui sommeillait en moi depuis
toujours deviendrait un jour réalité.
En cette année 1963, âgé de seize ans, lors de mes innombrables sorties nocturnes, je
rencontrai beaucoup d'artistes, peintres, danseurs et acteurs. L'une de ces rencontres déboucha
sur une idylle secrète et interdite avec l'acteur H.V., comédien d'origine suisse allemande qui
avait débuté sa carrière dans les années 50, plutôt connu à l'écran pour de nombreux rôles de
préférence sombres et angoissants, comme des généraux SS dans des films de Jean-Pierre
Melville. Avec une générosité peu commune, H.V. avait prêté à plus de soixante films son
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