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promesses, de l’abolir. Mais même si j’avais connu l’existence de cette loi, cela n’aurait de
toute manière rien changé, car j’étais fermement décidé à retrouver celui qui détenait sans
doute la clé de mon succès, de mon émancipation définitive.
Mon petit nez au vent, je humais l’air de liberté et les odeurs particulières des premières rues
parisiennes dans lesquelles je m'engageais à l'aveuglette. Le fait d'être parvenu jusqu'ici sain
et sauf représentait pour moi une première victoire, et j'entendais bien en vivre d’autres. Pour
me rendre à l'hôtel, j’optai pour le métro et fus englouti pour la première fois de ma vie par
une de ces innombrables bouches qui ingurgitent et recrachent chaque jour des milliers de
passants anonymes et pressés. Après avoir fait poinçonner mon ticket, passé le premier
tourniquet, avais-je réalisé l’ampleur du monde souterrain particulier qui m’attendait ?
Comme tout débutant en la matière, je m’y perdis complètement, sautant d'une rame à l'autre,
de couloir en couloir, pour m’apercevoir que je me dirigeais sempiternellement dans le
mauvais sens. Les différentes stations, au style, à l’atmosphère, aux odeurs et aux noms tous
différents, se succédaient. Ce ne fut qu’en début d’après-midi, la tête saturée d’une multitude
d’impressions nouvelles, que j’émergeai de cet infernal labyrinthe souterrain.
Finalement arrivé à la station Pigalle, je sortis de cet abîme bourdonnant rompu de fatigue, au
centre de ce quartier que j’avais tant imaginé, fantasmé, rêvé plus d'une fois. Enfin je pouvais
déambuler pour de vrai sur les trottoirs et les allées centrales mythiques de cette place de
Pigalle dont j'avais déjà tant et tant entendu parler ! En toute liberté, j'en palpais l’atmosphère,
la dégustais, reniflant à plein nez ses odeurs, en captant les moindres bruits. Je réalisais enfin
ce rêve qui me tenaillait depuis si longtemps que j’avais peine à croire que j’étais bien à Paris,
place Pigalle. Maintenant je devais me rendre rue Joseph de Maistre. Ne sachant pas comment
m’y prendre, je finis par demander mon chemin à un passant. Je suivis à la lettre, à pied, les
indications qui me furent données. Je commençai par longer l'avenue qui me conduisit à la
Place Blanche jusqu'au boulevard de Clichy ; j’empruntai ensuite, en la remontant jusqu'en
haut, la rue de Caulaincourt, puis, sur ma gauche, je descendis la rue Joseph de Maistre en
longeant le mur d'enceinte du Cimetière Montmartre jusqu'au petit hôtel dont j’avais l'adresse.
Selon le cérémonial décrit par mon ami de Genève, après que j’eus réglé la nuit sans autres
formalités, l’hôtelier me remit la clé d’une minuscule chambrette au premier étage de
l’immeuble qui en comptait quatre ou cinq. J’eus vite fait le tour de cette toute petite chambre
aux murs blancs crasseux dans laquelle une radio, payante, et une microscopique gazinière,
payante elle aussi, avaient malgré l'étroitesse des lieux trouvé leur place dans un
renfoncement caché par un rideau multicolore délavé. Aussitôt la porte de la chambre
refermée, je m’écroulai tout habillé sur le petit lit au matelas bossu et m’y endormis sans autre
forme de souci. Le lendemain matin, c’est presque étonné que je me réveillai, animé d'une
certaine appréhension, dans cette chambrette que je mis un temps à reconnaître : j’avais du
mal à me situer. En ouvrant la fenêtre, je fis face, hébété, à la paisible et vaste étendue du
cimetière Montmartre que dominaient des monuments funéraires comme je n’en avais encore
jamais vu. Rassemblant mes esprits, à peine rafraîchi, je sortis de l'hôtel un peu comme un
somnambule. Je repris le trajet de la veille en sens inverse et me retrouvai Place de Clichy,
face à l'imposant Gaumont Palace, ancienne salle de cinéma aujourd'hui disparue, située à
l’angle de la rue Forest et de la rue Caulaincourt. Une immense affiche rectangulaire au
fronton du bâtiment annonçait un ancien film sorti en 1952, « Fanfan la tulipe », avec Gérard
Philipe que j’adorais. Puis j’entrai dans la brasserie qui faisait face au cinéma (aujourd’hui
appelé Restaurant Café-Luna). Après avoir bu un café noir amer, je me décidai à appeler chez
moi. Peu fier de ma conduite, inquiet à l’effet que la nouvelle que j’allais annoncer à ma mère
ne manquerait pas de produire, je descendis au sous-sol de la brasserie où se trouvait, près des
toilettes qui sentaient fort l’urine, le téléphone mural modèle U43 Ericsson au cadran rotatif, à
l’alphabet rouge et aux chiffres noirs. Posté devant l’appareil, j’hésitai longuement avant de
composer le numéro pour dire à ma mère que j’étais à Paris et que je ne savais pas quand je
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