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toujours plus de la réalité. J’entreprenais une course éperdue, entre confusion des genres et
foisonnement d’émotions, consacrée à ma transformation vers la féminité, alors que j’aurais
pu investir cette énergie dans une pratique suivie et disciplinée, à la recherche d’une maîtrise
qui aurait fait de moi un artiste. Le changement d'identité balbutiant que je recherchais
compromettait pourtant mes chances d’accéder à l’un ou l’autre de ces domaines qui
m’attiraient tant : la danse, le théâtre, la peinture.
Au cours de ces soirées folles, de plus en plus efféminé, je rencontrais mes semblables et
intégrai une bande d’amis tous aussi farfelus les uns que les autres, dont Béatrice, une superbe
jeune fille aux airs de Juliette Gréco, aux cheveux noirs de jais, au maquillage fortement
appuyé, à l’allure féline, extrêmement sensuelle. Ce fut d'ailleurs la seule et unique créature
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de sexe féminin avec laquelle je connus les transports d’une étreinte . Parmi notre bande
d'inséparables, il y avait aussi « Ananas », grand garçon foldingue dont une fleur exotique
ornait toujours la chevelure, et qui réalisa par la suite son unique ambition : finir ses jours sur
une île du Pacifique. Depuis de nombreuses années, il vit effectivement à Nouméa, en
Nouvelle-Calédonie. Il y avait Sergio le phénomène du groupe, tantôt garçon de café, tantôt
gigolo, petit Italien fougueux au caractère bien trempé, meneur du groupe. Sergio deviendra,
quelque temps plus tard, Yolanda, une superbe blonde d’une finesse incroyable,
formidablement sexy, tellement féminine que le garçon en elle était indécelable. Elle se
prostitua sur tous les continents et amassa une véritable fortune. Suscitant dans la foulée un
scandale national et international, elle fut l’une des premières transsexuelles italiennes
rentrées dans son pays et arrêtées par la police. Notre ex Sergio, devenue Yolanda sans être
passé par le bistouri, fit longtemps la une des magazines people. Aujourd’hui, elle vit une
retraite très confortable au bord de la mer, en Italie du sud. C’est elle, Yolanda, qui agit sur
moi comme un puissant stimulant, m’incitant plus tard à franchir le cap de la transformation
moi aussi, à cesser de stagner dans cet état intermédiaire qui m'empêchait même de trouver un
travail. A ce moment-là, je n’avais aucune autre possibilité que de me faire entretenir par des
messieurs plutôt aisés. Il fallait pourtant que dans cette activité je fasse semblant d’être encore
un jouvenceau. Vêtu de petits costumes Lanvin trois pièces, j’arborais mon minois, que je ne
pouvais m’empêcher malgré tout de recouvrir d’une couche de fond de teint. J’enduisais
également mes cils toujours blonds d'une couche de rimmel noir. Mon allure mi-figue mi-
raisin ne m’empêchait pas, bien au contraire, de toujours trouver un monsieur pour subvenir à
mes besoins lorsque je ne travaillais pas.
A l’occasion, pour arrondir un peu plus mes fins de mois, je me rendais chez Chantal, la
courtisane sadomasochiste sous l’égide de laquelle j’avais réalisé mes premières passes. C’est
là que je fis la connaissance de Johnny, de six ans mon aîné, gigolo homosexuel notoire, qui
plus tard se fera lui aussi opérer, devenant Johanna. Pas spécialement beau, ce personnage
dégageait toutefois quelque chose d’énigmatique. Il se baladait au volant d’un superbe coupé
Buick gris qui lui conférait une allure de dandy. Johnny me manipulait, me présentant à de
nombreux messieurs, me vantant comme une marchandise dont il tirait profit sur mon dos.
Avide d’amour, d’affection et de reconnaissance, je ne réalisais pas les fins mercantiles de la
supercherie. C’est ainsi que sous sa domination, je commençai mes premières cures
d’hormones injectées par ses soins : Ovocycline 10 milligrammes une fois par semaine et
puis, peu de temps plus tard, Progynon retard 100 milligrammes deux fois par mois, produits
à l’époque vendus sans ordonnance. Le processus se précisait et, plus que jamais, j’étais prêt à
tout pour devenir une femme, dussé-je en mourir. Quelques années auparavant pourtant, un
ami de Johnny avait payé de sa vie après s’être fait opérer en Suisse par un chirurgien
inexpérimenté qui tentait ce genre d’opération pour la première fois. Mais rien ne changerait
ma résolution. Non, plus rien.
7 Aujourd’hui, plus de quarante-sept ans après notre rencontre, nous sommes toujours amies et nous nous voyons
très régulièrement.
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