Page 606 - Traité de chimie thérapeutique 6 Médicaments antitumoraux
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               L'effet cytotoxique de la 6-MP et de la 6-TG, corrélé à l'incorporation des nucléotides
             de la thioguanine dans I'ADN cellulaire, résulte dans un premier temps de l'entrave de la
             synthèse de cet ADN et dans un stade ultérieur de la formation de faux ADN (avec des
             bases thioguanine et méthylthioguanine) conduisant à des ruptures de brin de l'ADN
             cellulaire et à des dommages de la chromatine.
               À côté de cet effet cytotoxique il faut distinguer leur effet inhibiteur sur la prolifération
             cellulaire qui résulte plus particulièrement de l'effet inhibiteur puissant des métabolites
             thiométhylés de la 6-MP et de la 6-TG, acide 6-méthylthioinosinique et acide 6-
              méthylthioguanylique, sur la biosynthèse de novo des purines.
               Il faut relever que la mise en œuvre de tel ou tel des mécanismes d'action mentionnés
              précédemment peut avoir un impact puissant sur un type de cellules tumorales mais
              avoir peu d'effet sur un autre type cellulaire. Ainsi l'incorporation d'acide thioguanylique
              dans l'ARN cellulaire exerce un effet inhibiteur important sur les cellules de la moelle
              osseuse, mais a un effet affaibli sur les lymphocytes T circulants.
                Enfin, il est important de noter que la toxicité de ces antipurines (myélosuppression
              en particulier) est proportionnelle aux concentrations tissulaires en nucléotides thiogua-
              nyliques (concentrations illustrées par leurs concentrations dans les érythrocytes) et
              inversement proportionnelle au degré de méthylation de ces médicaments par la thiopu-
              rine méthyltransférase (TPMl) conduisant aux métabolites S-méthylés. Il a été constaté
              que les concentrations érythrocytaires en nucléotides thioguanyliques d'enfants mala-
              des de leucémies aiguës lymphoblastiques traités par la 6-MP peuvent présenter une
              variabilité interindividuelle de 6 fois et que ceux pour lesquels les concentrations de
              nucléotides thioguanyliques étaient les plus faibles ne développaient pas de neutropénie
              mais étaient plus rapidement sujets à des rechutes, témoignant ainsi d'une cytotoxicité
              insuffisante en raison d'une activité métabolique particulièrement élevée de la TPMT,
              sans doute d'origine génétique.
              6.4.  PENTOSTATINE
              l'activité de la pentostatine repose essentiellement sur son puissant effet inhibiteur de
               l'adénosine désaminase (ADA), enzyme clé de la biosynthèse des purines cellulaires. À
               partir de l'adénosine et de la désoxyadénosine, elle réalise l'élimination du groupe 6-
               amino de l'hétérocycle purine et son remplacement par un substrat 6-oxo (ou sa forme
               tautomère) formant alors l'inosine et la désoxyinosine (cf. figure 6).
                La sélectivité du pouvoir cytotoxique de la pentostatine sur les proliférations lymphoi-
               des est à rapprocher des concentrations plus élevées (environ 20 fois) de l'adénosine
               désaminase (ADA) dans les tissus lymphoïdes que dans les autres tissus.
                L'explication de l'activité de la pentostatine réside dans sa très grande analogie struc-
               turale avec l'intermédiaire tétraédrique formé à partir de l'adénosine et de la désoxya-
               dénosine sous l'action de l'ADA. La pentostatine agit comme un compétiteur très effi-
                           0
               cace (Ki = 210' M) du substrat naturel (Km pour l'adénosine = 3,1  10° M) pour
               l'ADA. Cela explique aussi pourquoi seul l'énantiomère 8 R de la pentostatine est actif.
                Cette inhibition de l'ADA se traduit par un arrêt du catabolisme de l'adénosine et de
              la désoxyadénosine dont les concentrations intracellulaires augmentent et dont les
              autres voies de métabolisation sont alors activées (cf. figure 7).
                Il s'ensuit essentiellement une accumulation de dATP qui déclenche une boucle de
              rétrocontrôle négatif sur le fonctionnement de la ribonucléotide réductase (RNR). Cette
              inhibition provoque une carence des autres désoxyribonucléotides nécessaires à la
              synthèse normale de l'ADN. Cette diminution des désoxyribonucléotides naturels
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