Page 132 - 266687ILJ_CERVEAU_cs6_pc.indd
P. 132
DANS L’ÉDUCATION
au maximum, notre éducation actuelle correspond à la plus haute
façon connue de standardiser un repas de connaissance.
e
La vision de la III République, dans le cas français, laisse peu de
doute quant à cette finalité : délivrer la même expérience éducative
(« Nos ancêtres les Gaulois… ») partout dans l’Empire, de Cayenne
e
à Biên Hòa, de Dakar aux îles Kerguelen. Au xix siècle, les édu‑
cations nationales ont utilisé la franchise avant Starbucks, Subway
et McDonald’s, dans l’objectif de délivrer la même expérience et le
même sandwich de connaissance, préparé et emballé avec la même
estampille et le même label de qualité.
Certes, cette standardisation n’a pas atteint ses objectifs. Un lycée
de Mantes‑ la‑ Jolie n’offre pas du tout la même expérience éducative
qu’un grand lycée de la montagne Sainte‑ Geneviève, alors qu’un
Starbucks délivre le même café du Bronx à Gangnam. Mais leur
but demeure le même : les uns délivrent des saveurs conformes, les
autres, des savoirs conformes. Les deux n’ont aucune honte à viser
une standardisation de l’expérience, sauf que les uns y parviennent
et les autres, non. D’ailleurs, l’école délivre souvent des savoirs sans
saveur, et c’est précisément là qu’est le drame. Il nous faut, de toute
urgence, élaborer une gastronomie de la connaissance pour sortir
du modèle « fast‑food » dans lequel nos éducations nationales se
sont enfermées – et qui, accessoirement, impose ses produits à ses
clients, sans solliciter de retour de leur part.
La meilleure école est ergonomique. Le cas de Léonard de Vinci
er
et de François I est édifiant à cet égard. L’élève, dans ce cas, est le
roi de France. Léonard doit donc trouver une façon de lui enseigner
des choses même s’il est dissipé, distrait par tous ses privilèges,
chasses royales, guerres et galanteries de palais. Dans ce cas d’école,
la « supériorité » de l’élève est un élément intéressant, qui permet
une ergonomie maximale : comme le protocole le situe au‑ dessus
de son professeur, ce dernier est tenu de faire tout ce qui est en
son pouvoir pour lui transmettre son savoir.
Cette supériorité, cependant, n’est pas nécessaire : Léonard,
Botticelli, Michel‑ Ange, le Tintoret ont acquis leurs connaissances
dans les botteghe de la Renaissance, ces ateliers multidisciplinaires,
multiniveaux et pratiques (dont nos actuels fab labs ne sont que de
plaisantes reconstitutions) où les savoirs étaient contextualisés et
131
266687ILJ_CERVEAU_cs6_pc.indd 131 02/09/2016 14:39:00