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DANS L’ÉDUCATION
                  « Ô Grand Esprit, préserve‑ moi de juger quiconque avant d’avoir parcouru
                  une lieue dans ses mocassins. » Elliott commentera : « Quand les blancs
                  se réunissent pour parler de racisme, ils ne font que l’expérience d’une
                  ignorance partagée. »
                  Avec l’accord de ses élèves, qui étaient âgés de huit ans en moyenne, elle
                  distingua dans sa classe deux groupes : l’un « aux yeux bleus », l’autre
                  « aux yeux marron ». Le premier jour, le groupe aux yeux bleus fut dési‑
                  gné comme supérieur : elle lui attribua davantage de temps de récréa‑
                  tion, de meilleures conditions de restauration et un accès privilégié à
                  une nouvelle salle de sport, déclarant sans ambiguïté que ces privilèges
                  découlaient de sa supériorité intellectuelle et raciale. Elliott confectionna
                  des cols bruns pour l’autre groupe, dont les élèves aux yeux bleus les
                  affublèrent eux‑ mêmes, pour bien les marquer. Elle fit asseoir les yeux
                  bleus au‑ devant de la classe, et les yeux marrons au fond. Bien sûr, les
                  yeux bleus furent encouragés à ne jouer qu’entre eux.
                  Au début, les yeux bleus résistèrent à l’idée de leur propre supériorité,
                  mais Elliott la leur confirma à l’aide de fausses déclarations scientifiques,
                  du type : « Il est prouvé scientifiquement que la pigmentation des yeux est
                  inversement proportionnelle à l’intelligence. » Cela eut pour effet d’apai‑
                  ser leur résistance. En peu de temps, les performances scolaires du groupe
                  aux yeux marrons devinrent significativement inférieures, en particulier
                  en mathématiques. Le comportement individuel des élèves se modifia :
                  les yeux bleus devinrent plus dominants, méprisants et sadiques ; les yeux
                  marrons résignés, pessimistes et obéissants.
                  Plus tard, Elliott fit échanger les rôles aux deux groupes, et poser le col
                  de la honte sur les élèves aux yeux bleus. Or, cette fois, elle n’observa pas
                  une attitude de supériorité aussi marquée de la part du groupe qui avait
                  déjà été victime de ségrégation. Si l’expérience des yeux bleus et des yeux
                  marron a de rares fois été considérée comme peu efficace pour réduire
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                  le racisme , sa prémisse, se mettre dans les mocassins de l’autre, demeure
                  scientifiquement confirmée par une autre expérimentation, de réalité
                  virtuelle cette fois, dans laquelle des chercheurs ont « mis quelqu’un dans
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                  la peau d’un Noir  ».







                    1.  Pedersen, A., Walker, I., Rapley, M. et Wise, M., « Anti‑ racism‑ what works? An
                  evaluation  of  the effectiveness  of  anti‑ racism  strategies »,  prepared  by the  Centre  for
                  Social Change & Social Equity for the Office of Multicultural Interests, Perth, 2003.
                    2.  Cf. encart « Pour combattre le racisme, devenez noir ! », p. 221.

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