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LIBÉREZ VOTRE CERVEAU !
                  pas le niveau pour réussir l’exercice. Cette sensation d’être inférieur au
                  groupe est d’ailleurs très douloureuse.
                  Le psychologue Idries Shah a dit justement : « Vous avez peur de demain ?
                  Pourtant, hier est encore plus dangereux. » Notre cerveau fait peser nos
                  échecs passés sur nos tentatives futures, et si une série de petites victoires
                  faciles donne élan à notre succès, une série d’échecs brise notre moral.
                  C’est une règle bien connue de la géopolitique : Bismarck, avant de s’atta‑
                  quer à la France, commença par galvaniser ses armées en défaisant le
                  Danemark ; Massoud forma ses groupes de combat en Afghanistan en
                  leur proposant d’abord de petites victoires accessibles.
                  Ce principe anthropologique n’est absolument pas respecté dans l’ensei‑
                  gnement français, et ce manque a engendré une culture de l’apprentis‑
                  sage par l’échec et la souffrance. Je me souviens encore des conseils de
                  mon père : « Pour réviser tes maths à l’Université, n’utilise jamais un
                  bouquin français, prend un bouquin russe ou américain. Le bouquin
                  américain commence par “combien font 1+1 ?” et il t’emmène, succès
                  après succès, jusqu’à l’hypothèse de Riemann. Le bouquin français
                  commence tout de suite par un piège. D’exercice en exercice, il y a un
                  piège, une subtilité, le bouquin cherche à te dire qu’il est plus intelligent
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                  que toi, et au bout d’un moment tu le refermes . » Cette arrogance péda‑
                  gogique n’est pas un mythe. Même dans l’industrie des jeux vidéo, les
                  sociétés françaises des années 1990 (comme la légendaire Infogrames)
                  étaient connues pour produire des jeux plus difficiles et punitifs que
                  les sociétés américaines.
                  Il ne faut jamais négliger le cognitive momentum, l’« élan cognitif de l’élève »,
                  et ne jamais croire que le briser est une vertu. Il faut, au contraire, cultiver
                  chez lui la can- do attitude, pour le convaincre qu’il est capable de réussir.
                  Des citoyens abreuvés d’impuissance apprise seront moins épanouis que
                  des citoyens abreuvés de puissance apprise. Cependant, les premiers seront
                  plus dociles que les seconds ; or, entre épanouissement et docilité, nous
                  savons bien quel choix ont fait nos sociétés, a fortiori nos écoles…


                    2. L’expérience des yeux bleus et des yeux marron
                  À la mort de Martin Luther King, l’enseignante Jane Elliott voulut
                  faire vivre l’expérience du racisme à ses élèves, selon la prière sioux :


                    1.  Selon moi, cette arrogance pédagogique toute spartiate est une des raisons pour
                  lesquelles il n’y a pas de « classe moyenne » en mathématiques, en France  : d’après
                  les tests PISA, il semble y avoir d’un côté des très riches, qui décrochent la médaille
                  Fields ; de l’autre des très pauvres, convaincus à vie que les maths ne sont pas pour
                  eux ; et entre eux, un vide relatif.

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