Page 139 - 266687ILJ_CERVEAU_cs6_pc.indd
P. 139
LIBÉREZ VOTRE CERVEAU !
Hélas, notre bureaucratie éducative ne sélectionne les profes‑
seurs sur leur vocation et leur passion que par accident. Elle ne les
sélectionne pas sur l’axe des y, le why, elle met toute son énergie
et toute sa standardisation sur l’axe des x, le what. En France,
le concours de l’agrégation n’offre aucune épreuve de pédagogie,
donc on ne peut même pas dire que le « can- do », la méthode, soit
sélectionnée, puisque l’art de l’ergonomie mentale est méprisé par
notre plus prestigieux concours éducatif.
Pour ma part, j’ai étudié en 2005 à l’École Normale Supérieure,
près du Panthéon. C’est là‑ bas, paradoxalement, que j’ai découvert
à quel point les enseignements pouvaient manquer d’ergonomie :
comme beaucoup d’étudiants, je n’y ai pas été heureux, et j’y ai fait
l’expérience de ce que le bonheur et l’épanouissement ne sont pas
la priorité de notre enseignement, et que les gens les plus brillants
confondent parfois, pire que des enfants, la souffrance et le mérite.
La majorité des élèves ne fréquente l’école que parce qu’elle y est
obligée, et seule une minorité d’enseignants reconnaît se lever tous
les matins par amour de l’éducation. Ceux‑ là même qui sont les
plus passionnés, comme Céline Alvarez ou Jean‑ Yves Heurtebise
1
finissent broyés par la doxa fossilisée qu’on leur oppose comme
supérieure à leur esprit d’innovation, de sorte que les perspectives
d’adaptation du système demeurent infimes.
Heureusement, le vaste monde, lui, n’attend pas l’école pour
évoluer.
Car l’école souffre d’une crise majeure dans la captation de
l’attention des élèves. Elle peut capter leur temps, puisqu’elle est
obligatoire, mais aucun décret ne pourra jamais garantir la cap‑
tation de leur attention. Incapable d’admettre son échec en la
matière, elle en vient, comme nous l’avons vu, à stigmatiser par
principe les élèves peu attentifs. La plupart du temps, on ne va pas
à l’école parce qu’on l’aime, mais parce qu’on n’a pas le choix. Tout
1. Enseignant‑ chercheur en philosophie à Taïwan, passé par l’éducation nationale
à Marseille, le brillant Jean‑ Yves Heurtebise fascina tellement sa classe de Terminale S
en philosophie qu’elle lui consacra une page Facebook in Heurtebise we trust. En 2010,
sa classe obtient parmi les trois meilleurs résultats de philosophie de toute son acadé‑
mie en moyenne, un de ses élèves majorant l’épreuve de philosophie au baccalauréat.
Heurtebise ne fut jamais titularisé, n’ayant pas le CAPES – mais ayant un doctorat –,
et un inspecteur lui reprocha ses méthodes d’enseignement hétérodoxes. Il quitta pro‑
fessionnellement la France pour ne plus jamais y revenir.
138
266687ILJ_CERVEAU_cs6_pc.indd 138 02/09/2016 14:39:00