Page 20 - Le grimoire de Catherine
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CHUT !


               Il  n’avait  jamais  dit  à  personne  ce  qu’il  avait  vu  ce  soir-là,  en  marchant  vers
              Compostelle…  . Bien entendu, on ne livre ses  secrets au premier rencontré, encore
              moins  à un ami que l’on  risque  perdre en se livrant à cet exercice  si  scabreux. On
              ne vide pas son cœur, on le remplit.
              Voyager avait  toujours  été son projet, dans sa nature. Qui n’a pas envie  ou  plutôt
              besoin de partir, de  sauter  par-dessus  sa barrière  pour  revenir   chargé  d’autres
              choses ? Vivre, n’est-ce pas  côtoyer  l’ailleurs. Il  l’avait remarqué  en regardant  les
              hirondelles préparer  scrupuleusement  leur aventure annuelle  ou encore les  grands
              arbres secouant  leurs pollens vers d’autres  horizons.

              Sa  destination ? Il l’avait  décidé un jour où il  fourrageait dans la bibliothèque d’un
              voisin féru d’histoire  ancienne. Il  se  rendrait, un jour, sur un site désigné sous le
              terme  énigmatique  et  donc    attractif  de  « champ  des  étoiles ».  Partir    vers  les
              étoiles, vers la voie lactée, quel  bel objectif !

              En continuant  sa lecture, il découvrit que ce  lieu se trouvait  en Espagne, en Galice
              et qu’il était  couramment  nommé sous l’appellation  Saint Jacques de  Compostelle.
              Il  apprit  aussi,  qu’à  l’issue  de  ce  voyage,  toute  personne  qui  rentrait  au  pays  était
              devenue une autre, cela  ne pouvait que le conforter dans  ce  projet.

              Il    lui  fallait    organiser  ce  long    périple  vers  l’inconnu.  Quel  itinéraire  allait-il
              emprunté ? Il n’en savait rien mais  demande-t-on  à l’alouette quel chemin  préfère-t-
              elle pour  aller vers le soleil ? Elle  y vole c’est tout !

              Partir, il  lui fallait un compagnon, sûr. Un semblable ? Hypothèse, vite écartée, on
              apprend  rien  de  celui  qui  nous  ressemble  et  puis  il  y  aurait  un  risque    que  sa
              présence   lui ternisse  l’éclat  des étoiles  qu’il espérait rencontrer. On  ne charge
              pas  sa  besace  des  préjugés  humains,  il  faut  au  contraire      alléger  le  fardeau  que
              chacun porte sur son dos.
              Afin de ne pas être trahi, il  choisit de partir  avec un âne. Depuis  sa tendre  enfance,
              il avait  toujours été étonné du rejet, des plaisanteries dont cet animal  faisait l’objet.
              Cela  avait débuté quand, à l’école, son institutrice avait  demandé aux enfants de
              choisir l’image  de leur animal préféré.
              Au milieu de la ruée  vers les représentations  de chats, chiens et  chevaux, lui avait
              été attiré  par un bel âne aux longues oreilles veloutées, au regard paisible.  La risée
              fut générale tant parmi ses camarades qu’au cœur de sa famille. Il avait, dès lors,
              choisi son animal sacré qui l’aiderait  à travers  la vie.

              Pas  question de l’affubler d’un nom ridicule comme  Picotin ou Cadichon, il devint
              l’Âne.
              Plus tard encore, il avait dû affronter  les rires  de ses camarades de classe quand un
              enseignant  avait  proposé comme thème de réflexion, lors d’un cours de français, le
              sujet  suivant : « Que  feriez-vous    s’il  vous  arrivait  de    gagner  une  belle    somme
              d’argent ? »  Les    joueurs  de  Monopoly  achetèrent    la  rue  de  la  Paix,  les



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