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PARTIE II
Un nouveau sommet européen, réuni le 23 avril, ne permit toujours pas de déboucher sur
un accord. Il fut décidé de refiler la patate chaude à la Commission européenne. À l’heure
où nous publions ces lignes, les modalités d’un tel fond n’ont toujours pas été déterminées.
Mais la proposition conjointe de la France et de l’Allemagne comprend un fond de relance
d’un montant de 500 milliards d’euros, soit un quart des 2000 milliards demandés par
le Parlement Européen. Surtout, ce fond serait versé en contrepartie de l’engagement
des États membres à mener une politique économique saine, c’est à dire à des mesures
d’austérité budgétaire. La Banque centrale européenne, de son coté, restait prisonnière
des traités qui consacre son indépendance en refusant la perspective d’une annulation
de la dette. Détentrice de 20% des titres de dettes des États, elle aurait pourtant pu
décider extrêmement rapidement de leur transformation en dette perpétuelle pour
réduire d’autant la pression budgétaire . À l’image des banques centrales britanniques ou
américaines, elle aurait également pu s’engager à prêter directement aux États pour
éviter leur dépendance vis à vis des marchés financiers. Mais même pendant la crise,
les dogmes qui font le cœur de l’ordolibéralisme sont encore là.
c) La course au déconfinement
Le refus des politiques de solidarité ne peut pas se résumer à un désaccord sur les
modalités concrètes de leur mise en œuvre. Les pays emmenés par l’Allemagne et les
Pays-Bas, moins touchés par l’épidémie, auront vu là une opportunité incroyable.
Alors que la France, l’Italie et l’Espagne, seconde, troisième et quatrième économie du
continent furent durement frappées, l’Allemagne trouva là une occasion unique de
consolider et d’étendre sa prépondérance économique .
Deux leviers furent mobilisés pour cela . D’abord, la décision de la Commission euro-
péenne de lever l’interdiction inscrite dans les traités des aides d’état lui profita direc-
tement . Pouvant se financer facilement sur les marchés financiers, le gouvernement
allemand mobilisa des montants très importants avec l’objectif de favoriser son tissu
industriel national. Ainsi, l’Allemagne représente la moitié de l’ensemble des aides
d’État octroyées depuis le début de la crise, soit proportionnellement bien plus que
son poids économique dans l’Union européenne. L’Autriche et les Pays-Bas firent de
même. Ainsi, comme le mentionne un diplomate national, cet état de fait crée « un
boulevard à l’industrie allemande qui serait à la fois la moins touchée et la plus aidée ».
Interrogée à ce sujet, la Commission européenne préféra valoriser l’Allemagne comme
étant la « locomotive » de la reprise économique européenne.
Le deuxième levier fut celui du déconfinement : l’Allemagne, bien moins touchée que
l’Italie, l’Espagne et la France, pu décider d’un déconfinement dès le 3 mai avec pour
optique évidente de gagner un avantage compétitif par une relance économique plus
rapide . C’est d’ailleurs un élément confirmé par un responsable européen qui évoque
« l’avantage compétitif que pourront retirer les États membres les mieux préparés,
comme l’Allemagne, avec une relance économique plus rapide […] cela risque d’accroître
les disparités et les déséquilibres économiques ». Il faut sans doute voir ici une des raisons
de l’empressement du président de la République à fixer une date de déconfinement
début mai, sans pouvoir être assuré de disposer des conditions nécessaires pour réussir
ce déconfinement et à faire primer des mesures, comme la réouverture des écoles,
permettant une remise en route de la machine économique. Loin d’être à la hauteur,
l’Union européenne aura plutôt donné à voir dans cette crise son visage de la compé-
tition, ce qui exacerba la priorité donnée à l’économie sur la santé.

