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PARTIE I
duction, qu’il a préféré délocaliser. Et c’est ainsi qu’une grande entreprise française
comme Alcatel n’existe presque plus : c’est un groupe qui a été complètement déman-
telé, du fait de l’idéologie de son PDG Serge Tchuruk, qui avait déclaré rêver d’une
« France sans usines ». La désindustrialisation de la France n’est pas un cas isolé. Ce
n’est pas un phénomène nouveau, pas plus qu’il n’est uniforme en Europe. La Grèce est
l’emblème tragique de la désindustrialisation : la base industrielle s’est désorganisée
dès les années 60. De l’autre côté, l’Allemagne, elle, n’a pas subi d’érosion de son industrie :
celle-ci s’est développée, notamment dans une logique d’exportation. La puissance de
l’entreprise allemande provient d’un fait simple : elle produit sur place.
La France est une Grèce qui s’ignore.
Gabriel Colletis, Économiste
Entre ces deux cas emblématiques, « la France est une Grèce qui s’ignore », comme
l’affirme l’économiste Gabriel Colletis. C’est au nom du sacro-saint principe de com-
pétitivité que s’est justifié le démembrement de notre industrie. Désormais, on lui pré-
fère le nom d’attractivité. Le rapport Gallois l’a bien montré : la mise en place du Crédit
d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi pousse à faire baisser la part des salaires
dans le PIB. Elle vise à réduire les coûts et notamment le « coût du travail ». Ce dernier
n’est plus considéré comme un apport de compétences, mais comme une charge.
Puisqu’elle s’est dépouillée de son tissu industriel, ce n’est un secret pour personne : la
France est devenue ultra-dépendante. Elle est ainsi sous perfusion de pays étrangers
dans de nombreux domaines. Les machines-outils françaises ont sombré dans les
années 80. Le secteur automobile est lui aussi frappé, du fait d’une délocalisation vers
le sud de l’Europe. On doit cette situation aux producteurs français qui ont fait le choix
de la délocalisation. Et de la passivité de l’État français, qui a ainsi laissé Renault dé-
localiser et en laissant filer PSA, qui a pratiqué des opérations de fusions acquisitions.
La France s’équipe surtout auprès des Allemands, des Japonais et des Italiens. Il en va
de même pour les biens de consommation durables des ménages, notamment dans
l’électroménager. Les consommations faites durant la production, que l’on appelle
« consommations intermédiaires », n’échappent pas à cette tragédie. Comme noté par
Gabriel Colletis dans son audition, la France est particulièrement vulnérable : « La
France est également dépendante des consommations intermédiaires. Lorsque les
producteurs produisent ils doivent acquérir ces consommations : pour les produc-
teurs de masque ce sont les élastiques ; les réactifs pour les tests ; les principes actifs
pour les médicaments. Ces biens de consommations intermédiaires sont importés.
Nous sommes dépendants de la Chine parce que les productions sont délocalisées en
Chine, et même quand on produit en Chine les chaînes de valeurs sont dépendantes
des produits étrangers. L’outil de production est dépendant des importations. »
Du point de vue de la production pharmaceutique, la situation est tragique. Nous pourrons
observer durant l’épidémie de Covid-19 toute la nuisance sur le tissu productif de
l’abandon de l’État et de sa perte de souveraineté en la matière. Les industries phar-
maceutiques ne produisent plus, pour l’essentiel, les principes actifs des médica-
ments sur le territoire européen. Les risques de pénurie de médicaments sont ainsi
permanents et croissants au cours des années : on a ainsi recensé 538 cas de rupture
de médicaments pour la seule année 2017, soit 12 fois plus qu’en 2008 ; au cours de l’année
dernière, ce sont plus de 800 références qui ont considérées comme manquantes, dont la
moitié pour une période supérieure à 60 jours. Comme le précise Yanig Donius dans
son audition « Il est clair que notre indépendance sanitaire est confrontée à cette pro-