Page 51 - 1. COMMISSION COVID-G2.indd
P. 51

/////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////




                                                                                                                      51


                                                                                                                        PARTIE I



                     Ces principes ont des conséquences très concrètes. Du fait de l’interdiction de tout
                     monopole public, de nombreux secteurs industriels, en particulier les plus stratégiques,
                     furent ouverts à la concurrence des acteurs privés nationaux, mais plus généralement
                     des acteurs privés du monde entier . En l’absence de toutes protections ou restrictions
                     douanières au sein du marché unique, puis, progressivement, vis-à-vis du reste du monde,
                     les secteurs concernés furent confrontés à un dumping fiscal et social intenable. Les
                     États membres se sont alors enfermés dans une course, perdue d’avance, à la baisse du
                     « coût » du travail. Nous en connaissons bien sûr le prix : licenciements, précarisation
                     des contrats de travail, compression à la baisse sur les salaires, remise en cause des
                     conquêtes sociales, destruction de l’écosystème, perte de notre souveraineté et de notre
                     capacité autonome de production.

                     Ainsi, pour l’ensemble de l’Union européenne, la part de l’industrie dans la valeur
                     ajoutée européenne est passée de presque 30%, en 1995, à 22,5% en 2020 . Si la France
                     fut  particulièrement  affectée  (la  contribution  de  l’industrie  manufacturière  au  PIB
                     français est passée de 26,3% en 1978 à seulement 10% en 2016), tous les pays européens
                     n’ont pas été touchés de manière uniforme. Car si le cadre des traités européens est
                     formellement identique pour tous les États européens, ses effets ont pu effectivement
                     être radicalement différents. La création de la monnaie unique par l’alignement de
                     l’euro sur la monnaie allemande renchérit d’un coup les exportations et aggrava de
                     manière significative les déséquilibres commerciaux. Le Pacte de stabilité et de crois-
                     sance introduisit de fortes contraintes budgétaires et priva les États de la possibilité
                     d’utiliser l’instrument monétaire pour améliorer leur balance commerciale. Dès lors,
                     le « coût » du travail est devenu la marge de manœuvre courante . À ce jeu-là, l’Allemagne
                     disposa de plusieurs avantages décisifs, notamment d’un dumping interne dans les
                     territoires de l’ancienne Allemagne de l’Est et de l’utilisation des populations des pays
                     de l’Europe de l’Est comme une main d’œuvre peu onéreuse. L’Observatoire des Territoires
                     relève ainsi que « [c]ette région d’Europe bénéficie également de la sous-traitance de
                     grands groupes installés en Allemagne ». À cela s’ajouta les réformes cruelles du droit du
                     travail en Allemagne, à travers les lois Hartz, qui renforcèrent fortement les inégalités
                     sociales et se traduisirent par une hausse générale de la pauvreté.

                     Le cœur industriel de l’Union européenne s’est également déplacé après le grand élar-
                     gissement de 2004. La compétition sur le « coût du travail » favorisa mécaniquement
                     les pays d’Europe centrale et orientale où les salaires et prélèvements sociaux sont
                     notoirement plus faibles. Dès lors, comme noté par l’Observatoire des Territoires, « [en]
                     République tchèque, Slovénie, Roumanie, Slovaquie, Hongrie, Pologne […], l’industrie
                     représente plus du quart (25 %) de la valeur ajoutée nationale » et les dernières années
                     ont vu « un renforcement des pays d’Europe centrale, un affaiblissement des autres
                     grands pays industriels (France, Italie, Espagne, Royaume-Uni) et un maintien de la
                     place de l’Allemagne. ». Les statistiques parlent d’elles-mêmes en termes de pertes des
                     capacités productives des différents États membres. Alors que l’industrie manufacturière
                     représentait toujours, en 2016, 20,3% du PIB allemand, elle ne pèse plus que 14,2% pour
                     l’Italie et 10% pour la France, faisant d’elle la grande économie la plus désindustrialisée
                     de l’Union européenne suite au-départ du Royaume-Uni (où l’économie manufacturière
                     ne représentait plus que 8,7% du PIB britannique). Si l’on prend la contribution de chaque
                     industrie au PIB de l’Union européenne dans son ensemble, le résultat est encore plus
                     flagrant : l’industrie française ne pèse que 10,8%, l’italienne 11,4%, l’espagnole 6,4%, tandis
                     que l’industrie allemande représente 30,2%, écrasant ainsi ses concurrentes.
   46   47   48   49   50   51   52   53   54   55   56