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PARTIE I
Ces principes ont des conséquences très concrètes. Du fait de l’interdiction de tout
monopole public, de nombreux secteurs industriels, en particulier les plus stratégiques,
furent ouverts à la concurrence des acteurs privés nationaux, mais plus généralement
des acteurs privés du monde entier . En l’absence de toutes protections ou restrictions
douanières au sein du marché unique, puis, progressivement, vis-à-vis du reste du monde,
les secteurs concernés furent confrontés à un dumping fiscal et social intenable. Les
États membres se sont alors enfermés dans une course, perdue d’avance, à la baisse du
« coût » du travail. Nous en connaissons bien sûr le prix : licenciements, précarisation
des contrats de travail, compression à la baisse sur les salaires, remise en cause des
conquêtes sociales, destruction de l’écosystème, perte de notre souveraineté et de notre
capacité autonome de production.
Ainsi, pour l’ensemble de l’Union européenne, la part de l’industrie dans la valeur
ajoutée européenne est passée de presque 30%, en 1995, à 22,5% en 2020 . Si la France
fut particulièrement affectée (la contribution de l’industrie manufacturière au PIB
français est passée de 26,3% en 1978 à seulement 10% en 2016), tous les pays européens
n’ont pas été touchés de manière uniforme. Car si le cadre des traités européens est
formellement identique pour tous les États européens, ses effets ont pu effectivement
être radicalement différents. La création de la monnaie unique par l’alignement de
l’euro sur la monnaie allemande renchérit d’un coup les exportations et aggrava de
manière significative les déséquilibres commerciaux. Le Pacte de stabilité et de crois-
sance introduisit de fortes contraintes budgétaires et priva les États de la possibilité
d’utiliser l’instrument monétaire pour améliorer leur balance commerciale. Dès lors,
le « coût » du travail est devenu la marge de manœuvre courante . À ce jeu-là, l’Allemagne
disposa de plusieurs avantages décisifs, notamment d’un dumping interne dans les
territoires de l’ancienne Allemagne de l’Est et de l’utilisation des populations des pays
de l’Europe de l’Est comme une main d’œuvre peu onéreuse. L’Observatoire des Territoires
relève ainsi que « [c]ette région d’Europe bénéficie également de la sous-traitance de
grands groupes installés en Allemagne ». À cela s’ajouta les réformes cruelles du droit du
travail en Allemagne, à travers les lois Hartz, qui renforcèrent fortement les inégalités
sociales et se traduisirent par une hausse générale de la pauvreté.
Le cœur industriel de l’Union européenne s’est également déplacé après le grand élar-
gissement de 2004. La compétition sur le « coût du travail » favorisa mécaniquement
les pays d’Europe centrale et orientale où les salaires et prélèvements sociaux sont
notoirement plus faibles. Dès lors, comme noté par l’Observatoire des Territoires, « [en]
République tchèque, Slovénie, Roumanie, Slovaquie, Hongrie, Pologne […], l’industrie
représente plus du quart (25 %) de la valeur ajoutée nationale » et les dernières années
ont vu « un renforcement des pays d’Europe centrale, un affaiblissement des autres
grands pays industriels (France, Italie, Espagne, Royaume-Uni) et un maintien de la
place de l’Allemagne. ». Les statistiques parlent d’elles-mêmes en termes de pertes des
capacités productives des différents États membres. Alors que l’industrie manufacturière
représentait toujours, en 2016, 20,3% du PIB allemand, elle ne pèse plus que 14,2% pour
l’Italie et 10% pour la France, faisant d’elle la grande économie la plus désindustrialisée
de l’Union européenne suite au-départ du Royaume-Uni (où l’économie manufacturière
ne représentait plus que 8,7% du PIB britannique). Si l’on prend la contribution de chaque
industrie au PIB de l’Union européenne dans son ensemble, le résultat est encore plus
flagrant : l’industrie française ne pèse que 10,8%, l’italienne 11,4%, l’espagnole 6,4%, tandis
que l’industrie allemande représente 30,2%, écrasant ainsi ses concurrentes.