Page 87 - le barrage de la gileppe
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La cantate terminée, le bourgmestre offrit au roi, sur un êcrin de velours pourpre, une
clef en vermeil avec laquelle Léopold II fit jouer les eaux de la fontaine. Des cris
d'admiration s’élevèrent de la foule. Les eaux jaillirent du laïte du monument pour
retomber en cascade dans les vasques. « C’était un petit Versailles », notèrent les
reporters.. .
« Le « repos du roi »
Puis on partit visiter les nouveaux quartiers. Le roi entendit de nouveaux orateurs. M.
Renkin-Hauzeur, président de l’immobilière Verviétoise », parla au nom de cette société
cl de MM. Peltzer, Hanlet et Nicolaï dont les noms allaient être donnés aux nouvelles
artères.
Il rappela que c’était grâce à l’habileté de M. Victor Besme et à son expérience que
ces extensions de la ville, d’une superficie de cent hectares, avaient été rendues
possibles. L’orateur annonça en terminant qu’en souvenir de la halte que son auguste
auditeur venait de faire à cet endroit, on dénommerait la place « Repos du Roi »
Le cortège redescendit au Cabinet Littéraire, dans le centre de la ville, où un banquet
de quatre-vingts couverts était servi.
La salle était éclairée par des centaines de bougies dont les lumières faisaient
scintiller quatre grands lustres. Huit corbeilles de fleurs étaient suspendues au- dessus
des tables, et des branches de lierre et de chêne montaient en serpentant, pour se
mêler aux moulures du plafond peint. La souscription au banquet était élevée pour
l’époque : 50 F par tête !
Le dessert fut encore agrémenté de quelques discours, et, vers 9 heures du soir, le roi
fut conduit à la Société d’Harmonie, où 1’« Emulation » chanta une cantate en son
honneur.
Pendant ce temps, la foule se promenait dans les rues de Verviers qui rivalisaient
d’éclat et de décoration. Par dizaine de milliers, les lampions dessinaient des
monogrammes et des arabesques dans les jardins et sur les façades.
.
A 11 heures, le Roi, très fatigué, mais d’excellente humeur, prit congé d’une population
éreintée et délirant“ qui l’acclamait en agitant chapeaux et mouchoirs.
Les martyrs
D’autres victimes de cette journée historique étaient bien plus encore anéanties.
C’étaient les infortunés reporters qui avaient suivi le cortège royal de Dolhain jusqu’au
barrage, et de la gare à Sommeleville, puis au Salon royal et place Verte, aux
Boulevards et au Cabinet Littéraire, à l’Harmonie et à l’ovation d’adieu...
Lorsqu’ils rentrèrent chez eux, nos chers confrères de l’Union libérale, du
Nouvelliste et des autres feuilles locales ou étrangères regardèrent leur montre. Il était
minuit trente. Ils ôtèrent avec un soupir de soulagement leurs escarpins vernis,
enlevèrent leur jaquette froissée, chaussèrent leurs vieilles pantoufles et allumèrent
une pipe.
Puis ils s’installèrent à leur bureau et commencèrent leur interminable compte rendu
dans le style emphatique et délicieux de l’époque :
« Ce n’était que festons, ce n’était qu’astragales... »