Page 99 - le barrage de la gileppe
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                 Une colonne d’eau s’est déversée, le 8 juillet, sur une circonférence d’une centaine
            de mètres seulement, provoquant instantanément ce flot
            rugissant, cette vague d’océan qu’un des ouvriers, demeuré près du batardeau de la
            Soor, voyait avec angoisse déferler vers lui. Il se précipita, avec l’énergie du désespoir,
            vers un petit baraquement élevé sur la montagne d’où il fut témoin du cataclysme. Le
            torrent s’élança avec une puissance dépassant l’imagination, atteignit et recouvrit le petit
            barrage et s’engouffra dans le tunnel béant où sept ouvriers, six Italiens et un Flamand,
            se trouvaient à 800 mètres de l’entrée. En quelques secondes, les eaux avaient envahi le

            canal souterrain, arrachant les rails, soulevant comme fétus de paille les sacs de ciment

            et balayant les malheureux. La force de ce coup de bélier était telle que la porte en fer,

            obturant la chambre de sortie au Trou Malbrouck, fut projetée au-dehors.
               La nouvelle de la tragédie fut aussitôt téléphonée au Service des Ponts et Chaussées
            à Verviers, d’où M. De Clercq, l’ingénieur-directeur, et ses collaborateurs principaux
            s’empressèrent d’accourir en auto, avec tout le
            personnel de secours qu’ils avaient alerté.

               Hélas ! tout secours était inutile. La nuit tombait et l’installation électrique intérieure
            avait été arrachée de la voûte dans le canal inondé, empli de boue, de pierres et d’arbres
            déracinés. On entreprit cependant les travaux de déblaiement la nuit même, à la lumière
            de torches électriques qui dévoilaient un spectacle désolé.
               Le travail reprit le lendemain, avec des équipes renforcées. Un bulldozer avait été
            amené sur les lieux pour dégager les abords du tunnel. Des hommes s’engagèrent dans
            le boyau, ouvrant un chemin à travers la vase et les décombres, et, dans les premiers
            1.100 mètres, trois cadavres furent déterrés de la boue.

                 Tandis qu’on les ramenait sur des civières, le ministre des Travaux publics, M.

            Behogne, arrivé vers 11 heures, assista à leur transfert sur une camionnette qui les
            transporta au camp italien établi à Hestreux, où une chapelle ardente avait été
            aménagée.

                 Quatre autres corps furent retirés du canal, dans la matinée du mercredi, mais la

            journée ne s’acheva pas sans un nouveau malheur. Pendant que              le funeste  labeur  se
            poursuivait, un ouvrier italien fit une chute dans un puits, près du batardeau, et se fractura
            le crâne. Un huitième nom s’inscrivait au bilan du drame.

               Deux ans plus tard, le jeudi 18 juillet 1954, un monument évocatif et sobre, était

            inauguré à la mémoire des victimes : un monolithe en pierre grise de la région, dressé

            près du petit barrage et portant une plaque de cuivre où sont gravés les noms de sept

            Italiens et d’un Belge tombés en martyrs sur le champ de bataille de leur tâche


            quotidienne. Le plus âgé avait cinquante-trois ans, le cadet, vingt-neuf.

               Après les discours, Mgr Forte, aumônier général des Italiens en Belgique, et le père

            Cypriano, leur sympathique aumônier régional, récitèrent des prières devant ce petit

            monument décoré aux couleurs italiennes et belges.
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